Le débat Keynes-Hayek à la lumière de la crise
Les plans de relance économique, adoptés par de nombreux gouvernements pour remédier à la crise, ont remis au goût du jour les idées de John Maynard Keynes, réduites à l'intervention de l'Etat. Est-ce la fin du libéralisme de ces dernières décennies inspiré entre autres par Hayek ? Gilles Dostaler explique en quoi, au-delà des clichés, les deux sont utiles pour comprendre les raisons de la crise et les moyens d'en sortir.
Keynes et Hayek sont deux penseurs majeurs dont les œuvres, plusieurs fois enterrées et ressuscitées, ont toujours à nous apprendre. Ils se sont durement affrontés, tout en se respectant et en entretenant même des liens d'amitié. Leurs analyses du fonctionnement des économies capitalistes étaient radicalement opposées. Ainsi, pour Keynes, rien ne garantit l'atteinte du plein emploi, une économie pouvant se trouver indéfiniment en situation d'équilibre de sous-emploi. Pour Hayek, le libre fonctionnement des marchés mène spontanément au plein emploi.
Il n'est pas surprenant que leurs explications de la crise déclenchée en 1929 aient été totalement inconciliables : effondrement de l'investissement pour Keynes, surinvestissement provoqué par des politiques monétaires laxistes pour Hayek. Les remèdes proposés sont en conséquence complètement différents. Pour Keynes, l'Etat doit stimuler la consommation et l'investissement pour rétablir la confiance et relancer la machine. La nécessité de cette intervention ne se limite pas aux temps de crises. Les pouvoirs publics ont un rôle essentiel à jouer pour assurer le plein emploi, la stabilité économique et la justice sociale.
Pour Hayek, la crise doit suivre son cours jusqu'à ce que soient rétablis les équilibres rompus par des politiques erronées. Un chômage important et prolongé est le prix à payer pour que les travailleurs se déplacent là où leurs services sont demandés. Tout en reconnaissant que l'État doit accorder un soutien aux plus démunis, Hayek estime que ses interventions économiques doivent être strictement limitées.
Cette opposition radicale ne doit pas faire oublier certaines convergences méconnues. Keynes et Hayek considéraient que l'économie n'était qu'un volet, en définitive secondaire, de la réalité sociale. A l'encontre de la majeure partie des économistes, toutes tendances confondues, ils ne croyaient pas que les sciences humaines soient assimilables aux sciences naturelles. Il n'est dès lors pas surprenant qu'ils aient manifesté une profonde méfiance face au processus de formalisation et de mathématisation de l'économie qui n'a cessé de prendre de l'ampleur dans les dernières décennies. Keynes a comparé l'économétrie à de l'alchimie et Hayek l'économie mathématique à de la magie.
Pour Keynes, l'être humain n'est pas un calculateur rationnel, mais un être mû par des pulsions en grande partie inconscientes, parfois pathologiques et perverses. Hayek estimait de son côté que la découverte des limites de la raison humaine constituait le fil conducteur de son œuvre. Pour les deux penseurs, l'incertitude entourant le résultat des décisions humaines est une dimension capitale de la réalité sociale, politique et économique, qui les amène à rejeter toute forme de déterminisme.
S'ils ressuscitaient aujourd'hui, il est certain que leurs diagnostics de la situation comme les remèdes proposés divergeraient autant qu'en 1929. Pour Keynes, la crise actuelle confirmerait les propos énoncés dans la théorie générale sur les dangers de la spéculation, de la soumission de toutes les activités au critère de la rentabilité financière, sur l'occurrence inéluctable des crises et du chômage dans une économie déréglementée. Il insisterait sur le danger que fait courir à l'humanité cette dérive. Il répéterait sans doute qu'il a consacré le plus gros de ses efforts à établir un diagnostic de l'état d'un système qu'il n'aime pas, parce qu'il est fondé sur un amour pathologique de l'argent, mais qu'il n'y a pas de remèdes infaillibles, valables en tout temps et en tout lieu, pour le réformer. C'est là une différence essentielle entre la pensée de Keynes et ses multiples avatars connus sous l'appellation de keynésianisme.
On assiste aujourd'hui, non pas à un retour à Keynes, mais à une certaine forme de keynésianisme modéré qui a connu ses heures de gloire dans les trente années de l'après-guerre. Pour sa part, Keynes envisageait entre autres, pour guérir les pathologies engendrées par le capitalisme, "l'euthanasie du rentier" (au moyen, entre autres choses, d'une taxe importante sur les transactions financières) et la socialisation de l'investissement, comme voie transitoire avant d'arriver un jour à une société débarrassée du problème économique, de la rareté, source des conflits entre classes et nations.
Hayek n'a pas, comme Keynes, donné son nom à un mouvement, mais il est souvent considéré comme l'un des maîtres à penser de ce qu'on appelle le "néolibéralisme". Comme pour le keynésianisme, le contenu théorique et politique du néolibéralisme est à bien des égards différent de la pensée de Hayek, qui s'inscrit d'ailleurs en faux contre les libertariens qui se réclament de lui. Cela dit, "la Constitution de la liberté", qu'il publie en 1960, contient plusieurs éléments des nouveaux programmes économiques, privilégiant la déréglementation, la flexibilisation du marché du travail, la limitation du pouvoir syndical, l'érosion de la Sécurité sociale, qui seront mis en œuvre, entre autres, par les gouvernements de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher, grande admiratrice de Hayek.
Cette inflexion majeure dans les politiques économiques, à partir des années 80, est l'une des sources de la crise actuelle et rend nécessaire le retour aux politiques interventionnistes prônées par Keynes, mais aussi par plusieurs autres penseurs de l'économie dans l'histoire. Le débat entre Keynes et Hayek est un débat constamment repris depuis les origines de la réflexion économique.
La Tribune.fr - 15/01/ Gilles Dostaler, professeur, département des sciences économiques (université du Québec à Montréal)
Après avoir lu le document ci-dessus, vous établirez un tableau thématique autour de Keynes et Hayek :
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HAYEK
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KEYNES
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Courant de pensée
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Libéral
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Hétérodoxe - Interventionniste
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Plein-emploi
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Automatique
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Non automatique, possibilité d'équilibre de sous-emploi.
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Explication de la crise des années 30
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Surinvestissement lié à une politique monétaire laxiste
Explication : Taux d'intérêt < taux de profit du capital.
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Effondrement de l'investissement
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Comment expliquerait-il la crise des subprimes
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Sans doute politique monétaire laxiste favorisant le crédit + politique publique incitant à un accès immodéré à la propriété
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Dérive financière (spéculation, déréglementation, pouvoir de la finance incontrôlée).
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Remède à la crise
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Laisser le système se purger (faillites, chômage) et n'aider que les plus démunis.
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L'Etat doit intervenir pour relancer la consommation et l'investissement CAD distribuer du pouvoir d'achat dans l'économie.
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Conception des sciences humaines
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Non réductibles à des sciences naturelles, nature secondaire de l'économie dans la vie sociale, critique de l'économie mathématique (où les relations économiques sont formalisées, mises en équations).
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Conception de la nature humaine
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Individu mus par ses pulsions, caractère limité de la raison humaine, incertitude touchant toutes les décisions humaines.
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Pour une explication libérale de la crise, lire le très bon ouvrage de Bonner et Wiggin : L'Empire des dettes. A l'aube d'une crise économique épique. Les auteurs n'hésitent pas au passage à fustiger la politique économique de Reagan amenant à une baisse du taux d'épargne, d'investissement et de la productivité. 2 citations révélatrices de ce livre : 1) "S'il n'y a pas de véritable investissement dans de nouvelles usines ou de nouvelles méthodes de production, on ne crée guère d'emploi bien payés", p. 276, 2) "Mais ce qui enrichit un homme, ou une nation, ce n'est pas de dépenser-c'est de ne pas dépenser", p. 309.
Pour une synthèse érudite de Hayek et du courant de pensée "autrichien", lire l'ouvrage de S. Longuet dans la collection CIRCA.