Michel Onfray et son Front populaire

LONGUEPEE Daniel Par Le 01/04/2022 0

A force d'écouter Eric Zemmour, on aurait pu croire que le salut du peuple devait passer par l'union des droites ... Pourtant il y avait des signes qui annonçaient une autre voie. Le travail de quelques journalistes et intellectuels sur des chaînes alternatives en premier lieu. Un exercice de longue date. On pense aux Vincent Lapierre, aux Pierre-Yves Rougeyron du salutaire Cercle Aristote. Plus récemment des hommes politiques a priori sur des lignes statégiques opposées ont commencé à entamer un dialogue sur Youtube, confinement oblige. Mais on imagine des pourparlers préalables et secrets. Il s'agit de Nicolas Dupont-Aignan et de Florian Philippot, le premier partisan d'une union des droites, le second plutôt souverainiste bi-partisan. Reste à voir si cela traduit un changement de positionnement non encore avoué de l'un des deux ... Et enfin pour clore le cheminement, le philosophe Michel Onfray annonce la création d'un mook au titre évocateur, Front populaire. Le titre a son intérêt. Plus que d'opposer le peuple aux élites, il s'agit peut-être de reconfigurer et de réagréger une masse qui a été méprisée, qui s'est égarée dans la fausse voie du clivage partisan droite-gauche et dont les élites se sont de toute façon détachées comme nous l'a justement appris pour le cas américain Christopher Lasch. Concernant cet auteur, il y a des passages de La Révolte des élites qui sont consternants car éblouissants. On y retrouve dès les années 90 la sécession des deux côtes américaines et du coeur du pays, superposition intertemporelle du résultat des elections de 2016 ! Mais revenons au cas Français. M. Onfray s'en prend à ce qu'il appelle l'Europe maastrichienne dont l'objectif est de déposséder les nations et donc les peuples de toute forme de souveraineté. Cela passe évidemment par l'abolition implicite de la démocratie qui est généralement considérée comme la forme politique d'exercice de la souveraineté. Sur ce point il y aurait à dire en reprenant les travaux de Pierre Rosanvallon. Mais passons. Cela rejoint alors le gouvernement hors sol des élites en accord avec le projet néo-libéral tel que très bien mis en perspective par Barbara Stiegler. Les experts, les technocrates savent mieux que le peuple ce qui est bon pour la société et donc pour lui ! Et l'Europe n'a jamais brillé par ses élans de démocratisme. Il suffit de lire Le Temps de fils fondateurs d'Yves Bertoncini évoquant le microcosme européen financé à coup de projets Erasmus où tout un beau monde d'étudiants expérimente cette auberge espagnole de tolérance et de cosmopolitisme. Citons : "La construction européenne est une invention géniale mais pour lui donner corps, ses promoteurs ont dû, dès l'origine, ruser avec des citoyens encore traumarisés par la dernière guerre". Ben tu penses ... 50 ans après ils rusent encore ! Et M. Onfray de rappeler comme un leimotiv le vote de 2005. Alors oui, il faut en finir avec l'Europe maastrichienne. Mais c'est déjà avouer qu'une autre Europe est possible. Charles Gave, ancien homme d'affaires, essayiste et grossièrement libéral diront certains, dans un autre registre affirme qu'il faut libérer l'Europe de ... Bruxelles ! Pas faux non plus. Qu'il y ait en tout cas une histoire européenne, c'est indéniable. Il pouvait difficilement en être autrement. Autant de peuples, de langues, de visions, dans un espace aussi confiné ne pouvait aboutir qu'à des rivalités et au pire à des guerres. Eh puis certains parlent même de civilisation européenne. Il s'agit même parfois de raviver la flamme occidentale. Pas sûr que les Américains participent au jeu. Du moins dans un véritable partenariat. En tout cas il y eu un vrai projet impérial au niveau européen avec l'expansion romaine. L'Europe ne s'est peut-être jamais remise de la chute de l'Empire romain qui ne peut se résumer à l'année 476 puisqu'un tel écroulement s'inscrit dans la durée avec l'enjeu récurrent en histoire des causes premières, en dernière instance, d'une telle déflagration. L'équilibre des puissances voulait sans doute, tout bonnement, qu'aucun pays ne prit seul l'ascendant. Les guerres de Religion l'illustrent très bien où la France s'allie avec des Etats protestants pour barrer la route à des concurrents catholiques ! Eh puis l'Angleterre s'alliant tour à tour avec la Prusse ou la France pour empêcher la domination ultime de l'un des deux ... La pire des défaites de Napoléon, c'est ... Trafalgar ! Certes l'armée française était en terres allemandes. Napoleon aurait-il, dès l'annonce de la nouvelle, abandonné le théâtre des opérations pour rejoindre Boulogne et en finir avec la Perfide Albion ? C'est peu probable. Les britanniques auraient-ils pu dès 1806 reconstituer leurs forces, en appeler à une autre coalition pour assurer leur protection ? La Prusse et la Russie auraient-elles continué à menacer la France ? Auraient-elles permis un débarquement en Angleterre ? Napoléon, on le voit, fut comme tous les souverains, le jouets de l'équilibre des puissances. Pour un temps en tout cas, l'empire d'Occident était reconstitué, les Carolingiens unifiaient de nouveau le sol chrétien. En finir avec l'Europe de Maastricht appraîtrait presque fade en face d'un tel fracas d'événements. Et pourtant le retour des Nations, pour l'époque contemporaine, constitue déjà une sacrée (re)conquête. Alors oui, on dira que cette Europe nous a préservé des guerres. Mais c'est oublier un peu vite que l'équilibre de la terreur fut permis par la bombe atomique. Ce n'est pas très glorieux mais en matière d'armement il n'y a rien de vraiment poétique ... à moins de jouer les Rambo de bas étage ! Mais au delà de la volonté de réunifier le peuple, il y a l'idée de changer l'habitus politique de ce pays, du jacobinisme vers la décentralisation. Bref il faudrait réactiver, selon M. Onfray, l'ethos girondin. Or il y a de quoi être circonspect vis-à-vis d'un tel projet. D'une part il verrait resurgir des barons locaux. D'autre part le rôle des Girondins notamment pendant les massacres de septembre mériterait quelques éclaircissements. Pensons aux Roland et autres Anarchasis Cloots ! Eh puis, il faut bien avouer que la citation en appui de la revue de M. Onfray a de quoi laisser perplexe. Elle est de La Beotie : "Soyez résolus de ne plus servir et vous voilà libre". Elle semble bien trop ... anarchiste pour espérer réunir les souverainistes, même de gauche. Puisse tout de même M. Onfray contribuer à assurer le lien entre les différentes composantes du peuple, allant des ouvriers et employés aux cadres conscients de leur déclassement. Sans doute l'apport d'un Emmanuel Todd sera-t-il ici des plus bénéfique. M. Onfray et E. Todd n'ont-ils pas d'ailleurs été qualifiés d'intellectuels de l'ancien monde par notre cher et ô combien visionnaire président ? Un titre dont d'autres rêveraient de pouvoir s'enorgueillir ... L'union des deux rives constitue dans l'histoire récente une entreprise périlleuse mais la plus stimulante de toute. Dans l'attente d'une issue positive ...

 

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