Dans la présentation qu'il a fait de l'Ecole de Chicago sur France Culture http://www.franceculture.fr/emission-les-nouveaux-chemins-de-la-connaissance-les-ecoles-de-chicago-24-le-neoliberalisme-americaihttp://www.franceculture.fr/emission-les-nouveaux-chemins-de-la-connaissance-les-ecoles-de-chicago-24-le-neoliberalisme-americai , Alain Laurent laisse planer une ambiguïté embarrassante concernant la théorie implicite du comportement. Si à l'origine avec Frank Knight l'universalisation de l'hypothèse de maximisation de l'utilité—c'est-à-dire d'individus adaptant en toutes circonstances des moyens rares à leurs objectifs—est une « folie », ce ne serait plus le cas à partir de Milton Friedman et de ses continuateurs. Le problème c'est qu'en inscrivant logiquement Ronald Coase à côté de Stigler ou Gary Becker parmi ces continuateurs, A. Laurent commet un imprudence. Bien que dans la mouvance libérale, Coase n'a en effet jamais cessé de s'interroger sur les limites de l'hypothèse de rationalité maximisatrice. Si A. Laurent constate la nature évolutive de l'Ecole de Chicago en distinguant Knight et Friedman, sans doute faudrait-il aussi s'interroger sur la cohérence de cette "école". Coase apparaîtra en tout cas plus proche de Knight que de Friedman sur la conception du comportement. Pour illustrer cette proximité, , il suffira de s'appuyer sur quelques citations de R. Coase :
1/« Puisque les individus qui opèrent dans le système économique sont les mêmes que ceux l’on trouve dans le système juridique ou politique, on peut espérer que leur comportement sera, dans un sens large, similaire. Mais cela ne signifie en aucun cas qu’une approche développée pour expliquer le comportement dans le système économique se réalisera aussi avec succès dans les autres sciences sociales. Dans ces différents champs, les objectifs que les individus poursuivront ne seront pas les mêmes et, en particulier, la structure institutionnelle dans laquelle les choix seront faits ne sera pas la même », (R. Coase, 1975, pp. 42-43).
2/« Il n’y a aucune raison de croire que la plupart des être humains maximisent quoi que ce soit tant que ce n’est pas déplaisant, et même avec un succès incomplet », (R. Coase, 1988a, p. 4).
3/« Mais il est, bien entendu, désirable que le choix entre différents arrangements sociaux pour la solution de problèmes économiques doit être entreprise dans des termes plus larges que cela et que l’effet total de ces arrangements dans toutes les sphères de la vie doit être pris en compte. Comme Frank H. Knight l’a souvent remarqué, les problèmes de bien-être économique doivent en dernier recours se dissoudre dans une étude esthétique et morale », (Coase, 1960, p. 43).
Outre la référence explicite à Knight, cette citation est d'autant plus importante qu'elle conclut The Problem of social cost. C'est cet article qui a servi de fondement à l'énoncé du célèbre « théorème de Coase » justifiant la maximisation de la valeur de la production lors de l'attribution des droits de nuisance. On pouvait croire à travers les cas analysés par Coase que le critère d'efficience devait être structurant; Or ce n'est pas le cas.
4/« (...) placé dans un choix entre une théorie qui prédit bien mais nous donnant peu d’éléments sur le fonctionnement du système et une qui nous donne ces éléments mais prédit mal, je choisis la dernière », (R. Coase, 1981, p. 17).
Cette citation est importante dans la mesure où elle constitue une critique de la méthodologie friedmanienne du « as if ». Pour M. Friedman en effet, ce n’est pas tant le réalisme des hypothèses qui importe que leur capacité prédictive. Peu importe par exemple que les entreprises n’aient pas conscience de maximiser leur profit. Le processus d’évolution fait que seules les meilleures survivent et il est possible de considérer qu’elles ont agi comme si elles l’avaient effectivement maximisé. Et c'est une telle conception que R. Coase conteste. D'où :
5/« Dire que les individus maximisent leur utilité ne nous dit rien sur les raisons pour lesquelles ils s’engagent dans des activités économiques et nous dit rien sur le fait de savoir pourquoi les individus font ce qu’ils font », (R. Coase, 1975, p. 43).
En tout cas un auteur comme Posner prétendra même que la démarche de Coase est « anti-théorique »! CE faisant la critique de Posner s’adresse non seulement à Coase mais aussi à Williamson. Or sur ce point la réponse de Coase est sans ambiguïté :
6/ « Posner s’oppose aux concepts adoptés par Williamson comme celui de “ rationalité limité ”. J’ai aussi des réserves sur ce concept comme j’en ai sur tout concept économique qui comporte le mot “ rationnel ” (...) Quelque soit le résultat, l’approche fondamentale de Williamson sera non affectée », (Coase, 1993, p. 98).
7/« Je voudrais souligner que la croyance dans la main invisible n’implique pas que le gouvernement n’a pas de rôle à jouer dans le système économique. C’est tout le contraire. Si il est en général vrai que les hommes, suivant leur propre intérêt personnel agissent dans une voie qui est bénéfique pour la société, c’est, pour citer Edwin Cannan, « parce que les institutions humaines sont arrangées pour obliger l’intérêt personnel à travailler dans des directions où il sera bénéfique ». Notre tâche comme économistes est d’aider à l’élaboration et l’amélioration de telles institutions. En faisant cela, nous ne devons pas ignorer la face noble de la nature humaine quand cela peut être mis en jeu », (R. Coase, 1966, p. 444).
Pour les quelques références bibliographiques :
(1960) : « The Problem of Social Cost », The Journal of Law and Economics, 3, n°1, pp. 1 - 44.
(1966) : « The Economics of Broadcasting and Government Policy », American Economic Review, 2, may, pp. 440-47.
(1975) : « Economics and Contiguous Disciplines », présenté lors de l’Association internationale d’économie à Kiel, reproduit dans R. Coase, 1994, pp. 34-46.
(1981) : « How Should Economists Choose », The third G. Warren lecture in political economy, délivrée le 18 novembre au American Enterprise Institute for Public Policy Research, Washington D. C. , reproduit dans R. Coase, 1994, pp. 15-33.
(1988a): « The Firm, the Market and the Law », dans The Firm, the Market, and the Law, The University of Chicago Press, 1988, Paperback edition, 1990, pp. 1-31.
(1993) : « Coase on Posner on Coase », Journal of Institutionnal and Theorical Economics, 149/1, pp. 96-98.
(1994): Essays on Economics and Economists, The University of Chicago Press.
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