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TRAME 2. Comments est structurée la société française ?

Le 15/06/2024

1° Parler de structuration sociale n'est pas neutre car cela implique une représentation de la société en termes de groupes sociaux relativement homogènes et cohérents. Par exemples on parlera des ouvriers ou des cadres. Mais quels sont les critères qui permettent de regrouper certains individus dans un groupe et d'en exclure d'autres ? Ces groupes une fois constitués seront-ils égaux ? Ne vont-ils pas être hiérarchisés ? Il est à noter que se placer dans l'espace social—c'est-à-dire dans quelque chose d'abstrait, de symbolique avec des résultats concrets : rouler en Tesla ou en Twingo d'occasion, habiter dans une maison spécieuse avec terrain ou en barre HLM, ...—, c 'est se différencier des autres et être différencié par eux : "que va-t-on faire de ce que les autres font de nous ?", disait le philosophe J-P Sartre. Ainsi dans l'espace social il y des gens "côte-à-côte" mais aussi "en haut" et "en bas" ! 7 grands facteurs de structuration et de différenciation peuvent-être identifiés : la catégorie socioprofessionnelle, le revenu, le diplôme, la composition du ménage, la position dans le cylce de vie, le sexe et le lieu de résidence.

Statut socio-économique : catégorie socioprofessionnelle, le revenu, le diplôme.

Facteurs socio-démographiques : la position dans le cylce de vie, le sexe.

Autres facteurs : la composition du ménage, le lieu de résidence.

2° L'évolution de la structure socioprofessionnelle est intéressante car elle permet d'identifier des processus de long terme :

La salarisation car déclin de l'artisanat, des commerçants, des agriculteurs exploitants, développement de la protection sociale et donc de la protection salariale car le salariat ouvre des droits sociaux (retraites, indemnistés maladies/chômage, ...)

La tertiarisation car développement des services marchands et non marchands : loisirs, banque, éducation, santé, une croissance plus faible des gains de productivité dans les services ce qui enrtaîne un déversement des emplois des secteurs primaire et secondaire où les gains de productivité sont forts dans le tertiaire.

L'élévation du niveau de qualification associée à l'évolution technologique et aux besoins de formation.

La féminisation des emplois car les femmes profitent de la tertiarisation, de l'allongement de la scolarité et plus largement du mouvement d'émancipation qui leur est favorable.

3° Evoquer la stratification sociale est difficile sans aborder un des outils théoriques élaborés pour en rendre compte, à savoir les classes sociales. Deux grands auteurs peuvent alors être distingués, K. Marx (1818-1883) et M. Weber. Commençons par Marx. celui-ci considère que ce sont les forces économiques qui déterminent l'accès aux biens matériels et par conséquent toute la structure sociale. Au centre du système économique, il a les rapports de production, CAD la détention ou non des moyens matériels de la production. Ceux qui les détiennent dominent ceux qui ne les ont pas. C'est une définition objective qui définit la classe sociale. Il y a entre les classes opposées un rapport de domination et d'exploitation. C'est pour cette raison que l'exploitation conduit à la révolte des faibles, toujours plus nombreux. Puisque la production définit des rapports d'exploitation, les classes sociales finissent par s'affronter. Les esclaves d'abord, puis les paysans (les serfs!) et enfin, normalement les ouvriers. Les ouvriers constituent la classe révolutionnaire du système capitaliste. Toutefois la lutte de classes suppose la prise de conscience de classe. Marx distingue en effet classe en soi qui correspond à la place objective dans les rapports de production et la classe pour soi qui forme une unité et défend ses intérêts communs. Par exemple les ouvriers forment des syndicats, font grève et enfin se constituent en parti politique, le parti communiste. L'histoire a toutefois montré que les prévisions de Marx ne se sont pas déroulées comme prévu. Par ailleurs, et Marx le reconnaît, la conscience de classe n'est jamais certaine. Ainsi les paysans ne constituent pas une classe homogène et surtout ils s'allient aux bourgeois plutôt qu'aux ouvriers alors qu'ils subissent le système de la grande entreprise. Pensons aujourd'hui aux paysans qui sont obligés de se moderniser, d'agrandir leur exploitation, de vendre leurs produits à des industries agro-alimentaires comme Daucy ou Bonduelle, etc. De même s'il ne devait rester qu'une seule classe sociale, sûre d'elle même, de ses valeurs, de son style de vie, conscient de son entre-soi, ce serait la (haute) bougeoisie, comme l'indique les sociologues Pinçon-Charlot.

4° Ensuite Weber. S'il utilise la notion de classe sociale il n'en donne pas la même définition que Marx Elle correspond pour lui aux chances différenciées de produire ou d'accéder à des biens et des services. Il distingue les propriétaires comme les chefs d'entreprises, les agriculteurs des non-propriétaires comme les classes moyennes salariées et les ouvriers comme classes sociales. Par dessus tout, Weber élargit la vision unidimensionnelle de K. Marx et ne résume pas la stratification sociale à son élément économique. A côté de l'ordre économique, CAD du critère économique, il y a aussi l'ordre social et l'ordre politique. Ces 3 ordres CAD ces 3 dimensions/critères caractérisent conjointement la stratification sociale. L'ordre social est caractérisé par des groupes de statut CAD par le degré d'"honneur social" ou de prestige que les individus se reconnaissent entre eux. Chaque groupe de statut se distingue par un style de vie et de consommation (éducation, goûts culturels, ...). L'aristocratie et la haute bourgeoisie restent des exemples d'un style de vie à part. Parfois aussi on évoque le style de vie de la "jet set", CAD de ce monde des artistes et vedettes en tout genre qui font la une de la presse "people". Les membres d'un groupe de statut ont la conscience d'appartenir en commun au même groupe du fait du partage des mêmes valeurs. Enfin l'ordre politique caratérise la place obtenu au sein des partis politiques et à la capacité de ces derniers à tenir le pouvoir. Le rôle d'un parti est en effet de conquérir le pouvoir d'Etat.

5° A partir de là, il est loisible de s'interroger sur la pertinence d'une analyse en termes de classes sociales. Plusieurs notions servent à cadrer le débat :

L'évolution des distances inter- et intra-classes :

Hausse de la distance inter-classes : hausse du rapport interdécile, analyse marxiste en termes de lutte de classes, éclatement de la classe moyenne, société en sablier.

Baisse de la distance inter-classes : moyennisation de la société, société en toupie à la Mendras, normalisation de la consommation (société de consommation de masse).

Hausse de la distance intra-classe : Baisse de l'homogénéité des individus au sein d'un même groupe comme au sein de la PCS "employé", ouvriers qualifiés du tertiaire et ouvriers non qualifiés de l'industrie, professeurs et professions libérales (notaire, architecte) au sein des CPIS.

Baisse de la distance intra-classe : Hausse de l'homogénéité au sein d'une catégorie sociale.

Les rapports sociaux de genre : Femmes discriminées sur le marché du travail (temps partiel même si légère diminution récente, plafond et mur de verre, inégalités salariales), patriarcat : double journée de travail.

Les identifications subjectives à un groupe social : Haute bourgeoisie consciente d'elle-même (de ses valeurs, de son savoir-vivre), travailleurs non qualifiés, classe en soi mais pas classe pour soi.

La multiplication des facteurs d'individualisation : Les individus peuvent se sentir privilégié dans un domaine mais discriminé dans un autre et peuvent faire des choix de consommation différenciés. Par exemple emprunter pour acheter un logement ou une voiture d'un statut "supérieur" mais faire des sacrifices dans d'autres postes budgétaires. L'origine ethnique ou le fait de subir une précarisation de l'emploi peut modifier aussi l'appartenance à un groupe social.

Trame 11. Comment expliquer la mobilité sociale ?

Le 08/06/2024

1° Parler de mobilité sociale suppose une représentation de la société en termes de groupes sociaux, voire de classes sociales, comme analysée dans le chapitre 2. Ainsi connaître une mobilité sociale, c’est changer de groupe social. On utilise généralement la nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles pour l’évaluer. Il y a 6 grands groupes d’actifs. Il est possible pour les groupes 5 et 6 (ouvriers et employés) de distinguer finalement les ouvriers et employés qualifiés des ouvriers et employés non qualifiés. En tout cas la mobilité sociale peut-être intergénérationnelle (entre parents et enfants) ou intragénérationnelle, que l’on qualifie aussi parfois de professionnelle car elle se déroule au cours de notre carrière professionnelle. Il existe par ailleurs une mobilité géographique lorsqu’on change de ville, de région, … Parfois une mobilité sociale peut s’accompagner d’une mobilité géographique. L’INSEE considère quant à elle que la mobilité sociale renvoie à la mobilité intergénérationnelle.

2° La lecture de la mobilité sociale peut se réaliser à partir de 2 tables, répondant à 2 questions différents  :

  • « Que deviennent les enfants de …  ? », que l’on lira dans les tables de destinées.

  • « D’où sont originaires les enfants de … ? », que l’on lira dans les tables de recrutement.

Il est facile de comprendre l'intérêt des tables. Déjà la mobilité l'emporte-t-elle sur l'immobilité ? Si la mobilité est plus forte, il convient toutefois de nuancer selon les catégories sociales, CAD selon les PCS. Par exemple on remarque que :

  • les mobilités sont d'autant plus fortes qu'elles touchent des groupes sociaux proches (pour les catégories salariées, 3 à 6 dans la nomenclature des PCS). Moins de 10 % des fils d'ouvriers âgés de 40 à 59 ans sont devenus cadres ou exercent une profession intellectuelle supérieure selon la table de destinées de 2014-2015. Ils sont 2 fois plus à exercer une profession intermédiaire. Et pratiquement la moitié à être devenus … ouvriers. C'est ce qu'on appelle la mobilité sociale (intergénérationnelle) sur des trajectoires courtes.

  • L'immobilité sociale est la plus forte chez les ouvriers. La moitié des fils d'ouvriers sont devenus ouvriers et parmi les ouvriers, en 2014-2015, pratiquement 1 sur 2 a lui-même un père ouvrier. Ensuite pour d'autres catégorie on peut distinguer les tables. Si le recrutement des CPIS est varié, pratiquement 1 fils de CPIS sur 2 se situera lui-même dans la même catégorie. A l'inverse si la destinée des fils d'agriculteurs est diversifiée (même s'ils sont devenus pour 1/3 ouvriers), on peut parler d'auto-recrutement de cette catégorie puisque plus de 80 % des agriculteurs en 2014-15 ont un père qui était agriculteur.

  • La comparaison des tables permet enfin de montrer des évolutions entre la génération des parents et celle des enfants, ce qui renvoie aussi à la mobilité structurelle. Ainsi la baisse de la part d'agriculteurs exploitants montre la chute du secteur primaire. A l'inverse la hausse des CPIS, PI et employés illustrent la tertiarisation de l'économie ou en tout cas sa consolidation. A cet égard la majorité des ouvriers n'est désormais plus dans le secteur secondaire (l'industrie) mais dans le secteur tertiaire. Dans cet ordre idée, la majorité des ouvriers est désormais qualifiée plutôt que non qualifiée marquant la hausse du niveau de qualification dans la société parallèle à la montée des cadres (BAC+5) et des professions intermédiaires (BAC +2/+3).

3° Malgré leur intérêt indéniable, les tables de mobilité présentent un certain nombre de limites :

  • La difficulté, voire l’impossibilité, de hiérarchiser facilement certains groupes socioprofessionnels entre eux, ce qui est pourtant utile à une étude significative de la mobilité sociale.

  • Les tables de mobilité utilisent le niveau le plus général de la classification en PCS (6 catégories d'actifs) ne permettant pas une vision fine de la mobilité sociale.

  • La classification en PCS concerne des actifs occupés ou des anciens actifs occupés, classés selon leur précédente activité professionnelle et ignore les situations de chômage ou de précarité de l'emploi (stagiaires, CDD, temps partiel, …).

  • Une table de mobilité conduit à considérer que les groupes socioprofessionnels sont comparables d’une génération à l’autre et que leurs positions relatives restent identiques ; or les métiers et professions évoluent fortement, de telle sorte que les conditions de vie, le prestige, le revenu qui y sont associés sont très différents entre descendants et ascendants.

4° Il est ensuite possible d’affiner l’analyse des tables et de mieux caractériser la mobilité sociale. On ne peut s’en tenir à la mobilité observée CAD à la seule lecture des %. Il faut opérer quelques calculs. Il faut déjà distinguer mobilité nette et mobilité structurelle. La mobilité structurelle correspond à la mobilité « nécessaire » liée à l’évolution des métiers CAD des catégories sociales entre la génération des parents et celle des enfants (la structure socioprofessionnelle entre générations). Par exemple comme on a davantage besoin de cadres il est logique que les enfants d’ouvriers ou d’employés aient + de chances de devenir cadres. Et cela est d’autant plus vrai que les besoins en ouvriers notamment non qualifiés, eux, diminuent. Il y a de toute façon 3 catégories en expansion (CPIS, PI et employés) et 3 en baisse (agriculteurs, artisans, … et ouvriers).. La « vraie » mobilité sociale se mesure davantage par la mobilité nette que par la mobilité simplement « observée » dans les tables.

Mobilité nette = mobilité observée – mobilité structurelle

Il se trouve que la mobilité structurelle diminue au cours du temps laissant plus de place à la mobilité nette. Il arrive en effet un moment où la tertiarisation et la montée des qualifications atteignent une consolidation lorsqu'elles sont exprimées en pourcentages de la population totale.

5° Ensuite il est intéressant de calculer la fluidité sociale qui définit le destin de chacun indépendamment de l’évolution de la structure socioprofessionnelle. C’est le rapport des chances relatives encore appelé odd ratio. Ainsi un enfant de cadres de cadre a environ 20 fois plus de chances de devenir cadre plutôt qu’ouvrier par rapport à un enfant d’ouvrier d’après la table des destinées de 2014-15. De ce point de vue, plus le chiffre est faible et plus la fluidité est forte.

Remarquons qu’une société plus mobile n’est pas forcément plus fluide. En effet le fait que les places de cadres augmentent dans la société ne signifie pas encore que les enfants des catégories populaires y accèdent aussi facilement que les enfants de catégories supérieures. Rien n’indique que l’égalité des chances augmente avec la mobilité sociale.

6° L’idée de mobilité est souvent associée à celle d’ascenseur social. C’est une bonne image tant qu’on garde à l’esprit qu’un ascenseur peut aussi … descendre d’étage ! De ce fait il existe une mobilité ascendante et descendante. Si la première consiste à grimper dans l’échelle sociale (un enfant d’ouvrier qui devient technicien ou ingénieur), la seconde consiste à baisser (un enfant de notaire qui devient manutentionnaire dans un entrepôt d’Amazon ou chauffeur-routier). Si la part de de la mobilité ascendante est toujours supérieure à celle de la mobilité descendante depuis les années 70, le rapport ascendant/descendant a diminué entre 2003 et 2015.

7°Remarquons à ce sujet que toutes les formes de mobilité ne se valent pas. Ainsi passer de la catégorie « ouvriers » à « employés » n'est pas une véritable mobilité sociale étant donné la similitude de mode de vie de ces deux catégories. De la même façon lorsqu'un enfant d'agriculteur exploitant devient artisan, commerçant ou chef d'entreprise, il est difficile de parler de mobilité « verticale », CAD de qualifier un meilleur ou un plus mauvais statut social puisque les 2 catégories ont le statut d'indépendants. Aussi parle-t-on de mobilité non verticale horizontale. Lorsque c'est le statut qui change il est également difficile d'évaluer la mobilité en termes verticaux. Par exemple gagne-t-on en position sociale en passant de cadres ou technicien à commerçant ou artisan  ? Difficile de répondre. C'est pourquoi tout passage d'une catégorie de salarié à une catégorie d'indépendants sera qualifié de mobilité non verticale de statut.

8°A côté de la mobilité verticale et non verticale, il reste l'absence de mobilité CAD la mobilité, c'est l'immobilité soit la reproduction sociale, un enfant de cadre qui devient cadre, etc.

9° Lorsqu'on parle de mobilité verticale descendante (démotion), on pense à «  déclassement  ». Pourtant la notion de déclassement est plus vaste que celle de mobilité verticale descendante. Certes la mobilité descendante, inter ou intragénérationnelle, est une dimension du déclassement. Mais il en existe une autre qui correspond à la surqualification (avoir fait trop d'études par rapport au poste proposé).

10° Enfin il est possible de dégager des spécificités de la mobilité des femmes par rapport à celle des hommes :

  • La mobilité ascendante des filles par rapport à leur mère est supérieure à la mobilité ascendante des filles par rapport à leur père. La distribution genrée des statuts socioprofessionnels fait qu’elles ont toujours plus de facilité à progresser socialement par rapport à leur mère que par rapport à leur père. Ce processus risque de s’épuiser au fur et à mesure que les femmes occupent de meilleures places car leurs filles auront alors plus de chances de connaître une démotion (mobilité sociale descendante).

  • Les hommes issus du haut de l’échelle sociale connaissent de plus en plus souvent de forts déclassements sociaux (fils de CPIS ou PI devenus des ouvriers ou des employés), mais ils restent moins fréquents que les déclassements plus faibles.

  • Entre 1977 et 2015, le rapport mobilité ascendante/descendante augmente + favorablement pour les femmes que pour les hommes.

  • Entre 1977 et 2015, la mobilité sociale augmente + pour les femmes que pour les hommes et lui est même devenu supérieur

11° Au final il faut s'intéresser aux causes de la mobilité sociale. Il y en a essentiellement trois :

Le rôle de l'évolution de la structure socioprofessionnelle

Le rôle des niveaux de formation

Le rôle des ressources et configurations familiales

~ Mobilité verticale ascendante : Il est + facile de devenir cadre plutôt qu'ouvrier dans une société qui a davantage besoin de cadres que d'ouvriers

~ Comme le nombre moyen d'enfants par femmes est + élevé pour les familles d'ouvriers ou d'agriculteurs dont les PCS diminuent leur destinée devra se diversifier

~ Le besoin croissant en CPIS, PI et employés s'explique par les évolutions technologiques, la polarisation des emplois, la salarisation, la tertiarisation et la féminisation des emplois

~ La baisse des indépendants s'explique par le développement des hypermarchés, la concentration des exploitations agricoles

~ L'ascension sociale est permise par les diplômes : Hausse du niveau général d'éducation car besoin d'actifs qualifiés : CPIS et techniciens. Même parmi les ouvriers, ceux qui sont qualifiés sont + importants que non qualifiés. Or une table fine de mobilité distingue employés + ouvriers qualifiés et non qualifiés → cela rejoint la question de la mesure de la mobilité (cf. texte à trous sur les limites des tables)

~ Ne pas avoir de diplôme est d'autant + discriminant malgré le paradoxe d'Anderson et l'inflation scolaire

~Avoir les « bons » diplômes et s'orienter dans les « bonnes filières » : Mais rendu difficile par le rôle des familles

~ Bien plus souvent, elles empêchent la mobilité sociale :

Par l'inégal possession en capitaux, économique, culturel et social) favorise les catégories dominantes et défavorise les catégories populaires et donc l'immobilité sociale plutôt que la mobilité,

Par le calcul coût/avantages

Par l'homogamie

~ La taille des fratries, l'espace de travail, l'accès aux NTIC.

~ L'investissement familial des catégories défavorisées : employés et ouvriers.


 

 

Trame 10. Quelles inégalités sont compatibles avec les différentes conceptions de la justice sociale ?

Le 08/05/2024

1° Il peut sembler contradictoire de considérer que des inégalités soient compatibles avec la justice sociale. En effet la justice sociale est généralement appréhendée à travers sa quête d'égalité, sa valorisation de la méritocratie, son combat contre les privilèges. Toutefois déjà à ce niveau une tension apparaît avec la problématique des inégalités. En effet l'expression des mérites et des talents individuels risque d'aboutir à des inégalités économiques concrètes en termes de revenus puis de patrimoine. Ce sera précisément toute l'ambition de l'égalitarisme libéral que de concilier ces deux aspects.

2° Quoi qu'il en soit, les inégalités sont multiples et ne résument à leur dimension économique bien que cette dernière soit primordiale dans l'univers capitaliste qui est le notre. 5 mesures des inégalités doivent être retenues :

Les mesures ...

statiques

dynamique

Rapport inter-quantile : rapport inter-décile, rapport interquartile, interquintile

Courbe de Lorenz

Coefficient de Gini

Top 1%

Corrélation de revenu parents-enfants (élasticité intergénérationelle de revenu


 

Quelque soient les mesures, l'histoire des inégalités économiques depuis le début du 20ème siècle connaît 3 grandes phases :

- 1ère phase : 1920 → 1ère GM 

Les inégalités économiques sont surtout liées à la possession d'un patrimoine (qui procure le revenu des + riches) = économie de rentiers. L'Etat-Providence est peu développé et la redistribution est faible, ex. l'impôt sur le revenu en France n'est voté qu'en 1914.

- 2ème phase : 1ère GM → fin années 70

Accélération de la baisse de la part des 1% les + riches après la 2GM car destruction de capital et donc du capitalisme patrimonial. Par ailleurs le krach boursier de 1929 qui a dégénéré en grande dépression a détruit une bonne part des patrimoines financiers. Enfin le développement des Etats-Providence (redistribution, services publics). Cela correspondra à la moyennisation de la société (Protection sociale, massification scolaire, accès à la consommation de masse).

3ème phase : Depuis la fin des années 70

Les inégalités économiques reposent davantage sur les inégalités salariales et ont pour cause les évolutions technologiques. Par ailleurs le retour en force des idées libérales (R. Reagan président US entre 1980 et 1988, M. Thatcher prime minister anglaise entre 1979 et 1990) a favorisé la financiarisation de l'économie amplificatrice d'inégalités (hausse des patrimoines financiers). Cette logique libérale vise aussi à contester de + en + l'Etat-Providence généreux, pensons récentes réformes des retraites, des remboursement médicaments et de l'assurance-chômage en France.

3° En plus des inégalités économiques il y a aussi des inégalités sociales, culturelles et politiques qui se renforcent les unes les autres, CAD qui sont cumulatives. Au seul niveau économique des inégalités économiques se renforcent via les inégalités de patrimoine qu'elles génèrent. Au niveau plus général, les inégalités de capital culturel par exemple qui ont elles mêmes pour origine des inégalités sociales génèrent des inégalités économiques via les inégalités de réussite scolaire et la transmission d'un habitus de classes selon l'analyse de P. Bourdieu. Les inégalités de capital culturel peuvent aussi jouer sur le rapport à la santé, les catégories aisées misant davantage sur la prévention et étant moins soumises aux risques professionnels. De là une espérance de vie bien supérieure. Bihr et Pfeffeerkon ont montré quand même montré que les inégalités au sein des rapports de production et que les inégalités de revenu disponible, soient des inégalités économiques, étaient celles qui expliquaient le plus d'inégalités sociales.

4° Une fois reconnu le caractère multiforme et cumulatif des inégalités reste à voir quels sont les types d'égalités (et donc d'inégalités) conformes aux différentes conceptions de la justice sociale. Nous considérons qu'il existe 3 types d'égalité (des droits, des chances et des situations) pour 4 grandes conceptions de la justice sociale.

L’utilitarisme

Le libértarisme (l'anarcho-capitalisme)

L'égalitarisme libéral

L'égalitarisme strict

Maximiser le bien être pour le plus grand nombre

Limiter (voire interdire) toute forme de redistribution (l'impôt est une forme de vol) et laisser faire le marché et la compétition

Assumer les inégalités économiques en assurant l'égalité des chances et l'accès pour tous aux libertés fondamentales

Assurer l'accès égalitaire pour tous à toutes les ressources

Toutes les inégalités peuvent être acceptées pourvu qu'elles augmentent le bien-être collectif

Seule l'égalité des droits doit être garantie.

Les inégalités des chances et de situation sont acceptables

L'égalité des droits et l'égalité des chances doivent être garanties. Les inégalités de situations sont acceptables si elles bénéficient aux plus défavorisés

Aucune inégalité n'est acceptable

5° La mise en place de l'égalité, quelle qu'elle soit, implique l'intervention des pouvoir publics à travers 2 formes de redistribution, verticale et horizontale. Si la redistribution verticale consiste à prendre aux riches pour donner aux pauvres, la redistribution horizontale consiste à prendre aux actifs, aux biens portants, aux célibataires pour donner respectivement aux retraités, aux malades et aux familles.

Il existe par ailleurs 4 grandes formes d'action des pouvoirs publics :

La fiscalité …

La protection sociale ...

Les services collectifs ...

La discrimination positive ...

aux effets différents selon les types d'impôt ou de taxes, du plus redistributif (impôt sur le revenu progressif) au plus dégressif (TVA et impôt sur les revenu pour les plus riches, surtout le top 1%)

dessinant 2 grands types, le type bismarckien (financé par les cotisations sociales sur les salaires) qualifié d'assuranciel car ne protégeant que les cotisants et le type beveridgien (financé par l'impôt) qualifié d'assistanciel car protégeant l'ensemble des citoyens

dont l'accès est égal pour tous et généralement gratuit, ce qui favorise les plus démunis car ces derniers contribuent moins que les riches à leurs financement (École, Justice, Police, ...)

visant à assurer l'égalité des chances en accordant des avantages à ceux qui sont au départ désavantagés (donner plus à ceux qui ont moins et donc créer des inégalités réparatrices) comme les concours parallèles d'accès aux filières sélectives ou la récente loi contre les discriminations capillaires

Une fois reconnues les formes d'intervention des pouvoirs publics pour assurer la justice sociale, il faut en identifier les contraintes et les limites

6° Les contraintes financières liée à l'intervention de l'Etat-Providence sont bien connues et font régulièrement la une des informations. Le déficit et l'endettement publics en sont les symptômes manifestes. Des cercles vicieux menacent l'intervention des pouvoirs publics. Concernant l'endettement, le risque c'est que le remboursement de la dette oblige à y consacrer une part toujours plus grande des recettes, limitant par là même les possibilité d'engager des politiques en faveur de la justice sociale. La sécurité sociale fait aussi face au défi de « l'effet de ciseaux » : une hausse des dépenses sociales liée au vieillissement de la population et à l'amélioration de la couverture de soins en face d'une baisse des recettes à cause du chômage. Un autre cercle vicieux se met alors en place car pour financer le « trou de la Sécu » il faut augmenter la pression fiscale, ce qui désincite au travail et donc nuit à la croissance économique, source des recettes publiques.

7° Enfin l'Etat-Providence fait face à une triple crise : d'efficacité, de légitimité et de risque d'effets pervers.

Pour la crise d'efficacité, il suffit de montrer que, malgré des dépenses importantes, le taux de prélèvements obligatoires dépassant les 40% du PIB en France, la pauvreté et les inégalités n'ont pas été éliminées. Même s'il est en diminution, le nombre d'allocataires du RSA (Revenu de solidarité active) reste supérieur à 1,8 millions.

Pour la crise de légitimité, elle renvoie largement à la critique libérale de l'Etat-Providence. Ce dernier ne favoriserait pas la prise de risque ou la responsabilisation (être responsable de sa vie et ne pas tout attendre de l’Etat). Par ailleurs il entretiendrait les pauvres et les chômeurs dans l’assistanat, considérés comme des « parasites ». De là l'idée de « trappe à inactivité », les individus préférant vivre des minimas sociaux plutôt que de chercher du travail. Enfin le système français de Protection sociale apparaît encore très inégalitaire, ex. système spéciaux de retraites qui accordent des avantages à certains. Pour toutes ces raisons c'est le consentement à l’impôt [CAD l’accord tacite (implicite, non ouvertement exprimé) à continuer à payer leurs impôts parce qu’ils considèrent qu’il est juste] qui est menacé. Or ce consentement diminue lorsque la pression fiscale (le Taux de prélèvements obligatoires) augmente et ce d’autant plus que la redistribution manque d’efficacité.

Pour finir le risque d’effets est lié au phénomène de désincitation CAD au fait que les agents économiques ne sont plus incités à gagner de l’argent, faire des efforts, innover, … La courbe de Laffer permet d'illustrer au mieux ce mécanisme aboutissant à l'expression : « Trop d'impôt tue l'impôt ». Il existerait un taux optimal d'imposition au delà duquel les recettes fiscales, au lieu d'augmenter, diminuent. Au-delà de ce taux les agents économiques réduisent leurs efforts, n’innovent plus, ne prennent plus de risques, ce qui fit diminuer les recettes pour l’Etat, ce qui est contre-productif ! Des impôts trop forts sont désincitatifs, ils n’encouragent pas à produire, … On retrouve ici le discours libéral qui s’oppose au discours keynésien. Pour Keynes en effet prendre aux riches pour donner aux pauvres (redistribution verticale) est efficace car les riches ont tendance à épargner alors que les pauvres ont tendance à consommer. Cela permet de montrer que derrière les conceptions de la justice sociale se cache aussi des théories économiques concurrentes.

 


 

Trame 8. Quelle est l'action de l'Ecole sur les destins individuels et sur l'évolution de la société ?

Le 23/03/2024

1° Si l'école n'a pas que pour mission de transmettre des savoirs, ce rôle est premier car il permet d'assurer, au moins en principe, l'égalité des chances CAD l’accès pour tous les enfants, quelque soit leur milieu social d’origine, à tous les niveaux d’enseignement. Un tel principe rejoint évidemment l’idéal républicain de méritocratie (on accède aux postes prestigieux, lucratifs, de pouvoir par ses compétences, pas par son « nom » ou ses relations). De là le rôle si structurant du diplôme. Il atteste de l’acquisition des savoirs et des compétences afférentes. En passant par l'Ecole, l'acquisition de la position sociale est indépendante, en droit, du milieu social d'origine. En atteste l'exemple symbolique de G. Pompidou devenu normalien, agrégé de Lettres et Président de la République, alors que fils d'instituteurs et petit fils de paysans. En France la réussite scolaire constitue le symbole de l'égalité des chances contrairement aux USA où c'est davantage le self made man à l'image d'un Bill Gates bricolant une invention qui s’avéra géniale.

2° La mise en place de l'égalité des chances s'est déroulée dans le cadre d'un processus historique qui commence vraiment avec les lois J. Ferry sur l'Ecole gratuite et obligatoire au début des années 1880, portée jusqu'à 16 ans en 1959. On finira par imposer la mixité filles-garçons, on créera le collège unique puis les zones d'éducation prioritaire, on prendra davantage en charge les élèves en situation de handicap et enfin l'objectif de 80% d'une classe d'âge au BAC ! A l'évidence le chemin a été long entre l'enseignement élitiste et genré de l'Ancien Régime jusqu'à aujourd'hui, si tant est que les mesures prises aient réellement favorisé l’égalité des chances.

3° A l'évidence nul ne peut nier que l'école se soit démocratisée d'un point de vie quantitatif, c'est ce qu'on appelle la massification scolaire. Ainsi le taux de scolarisation n'a cessé d'augmenter au cours du temps tout comme la proportion d'une génération au baccalauréat avec des scores dépassant l'objectif canonique des 80% ou encore le nombre d'élèves poursuivant des études supérieures. Toutefois cela aboutit-il vraiment à une démocratisation de l'enseignement ? Les enfants d'ouvriers ont-ils davantage gagné que les enfants de cadres notamment à la démocratisation quantitative ? Des efforts restent à faire.

4° Alors qu’au collège la part d’enfants de cadres et d’ouvriers est la même (23%), des différences voire des divergences apparaissent ensuite. Ainsi il y a comparativement 6 fois plus d’enfants d’ouvriers que de cadres en CAP. Inversement il y a 63% des étudiants d’ENS qui sont enfants de cadres contre 2% d’enfants d’ouvriers. Mais quand bien même la massification serait-elle un échec d’un point de vue de la démocratisation qu’il ne faudrait pas l’abandonner pour autant. Qui voudrait revenir à une école ouvertement sélective ne favorisant au final que les enfants de milieux favorisés ? N’est-ce pas précisément le rôle de l’école que de découvrir et de promouvoir les talents d’où qu’ils viennent ? Après des esprits chagrins pourront toujours dire qu’il n’y a pas besoin de longues études pour devenir you tubeur/you toubeuse et influenceur/influenceuse …

Comment expliquer alors le maintien des inégalités de réussite scolaire ? Quatre causes sont généralement mises en évidence.

5° Premièrement le rôle de l’école à travers trois effets : l’effet-classe (où se situe l’apprentissage du rôle d’élève), l’effet-établissement et l’effet-maître.

D’abord l’effet-classe. Un élève réussit d’autant mieux sa scolarité qu’il est dans une bonne classe et adopte (d’emblée) une posture conforme aux attentes. Évidemment les compétences scolaires comme savoir interagir avec l’autre, comprendre des consignes, savoir exprimer sa pensée, ne sont pas également réparties entre les élèves. Par ailleurs être dans une « bonne » classe ou au contraire dans une « mauvaise » classe modifie les attentes et donc les comportements des élèves. Par exemple même un élève « sérieux » sera amené à faire des « bêtises » dans une classe turbulente. La mise en place de classes de niveaux jouerait un rôle dans ce cadre. Regrouper les élèves de niveau comparable dans une même classe les aiderait mieux à progresser.Notons enfin que le même élève pourra être « sage » avec un enseignant et « turbulent » avec un autre, ce qui renvoie alors à l’« effet-maître ».

Ensuite le rôle du professeur. En fonction des attentes qu’il a des élèves ou même de la pédagogie qu’il entend utiliser, le professeur participe à la réussite (ou non) scolaire. Ainsi :

Sous-estimation du niveau d’élèves venant de milieux populaires => Moins d’attentes des professeurs => Moins d’implication, relâchement disciplinaire (rejoint l’effet-classe) => Moindre réussite scolaire.

C’est le mécanisme des prophéties auto-réalisatrices. Le simple fait de penser quelque chose fait vous adoptez les comportements qui font que cela va se réaliser. En tout cas il ne faut pas croire qu’il existerait une seule façon de faire avec les élèves. La pédagogie doit être réactive. L’essentiel de faire révéler le meilleur de chaque élève.

Enfin l’effet-établissement. A l’évidence être dans un bon établissement favorise la réussite scolaire. l’opposition « classique » entre établissement de centre-ville et établissement de périphérie. On sait aussi qu’il existe des établissement « prestigieux » comme l’Ecole alsacienne, le lycée Louis le Grand.

6° Deuxième explication du maintien des inégalités scolaires, le rôle du capital culturel et des investissements familiaux. Ici l'analyse de P. Bourdieu est précieuse. La transmission d'un habitus dans le cadre familial aboutit à la reproduction sociale. Les enfants de milieux favorisés héritent des bonnes habitudes et des savoirs leur permettant d'être en phase avec le milieu scolaire. Ils y sont comme un « poisson dans l'eau », contrairement aux enfants des milieux défavorisés pour lesquels l'Ecole est le lieu de la culture donc ils sont a priori davantage dépourvus. Les enfants de milieux favorisés disposent d'un capital culturel mais aussi économique comparativement plus important. Ils peuvent profiter de la culture générale de leurs parents, des sorties culturelles réalisées en famille, … et se forger avant même d'entrer à l'école une certaine curiosité intellectuelle. Ils peuvent aussi compter sur le capital économique de leurs parents dans le cadre de cours particuliers ou de filières sélectives et onéreuses. Enfin le capital social à travers le réseau de relations des parents permet de disposer des meilleurs informations et des diplômes lucratifs. La dotation inégale en capitaux permet aussi de comprendre pourquoi l'investissement parental joue moins bien pour les familles défavorisées. Ainsi les parents peuvent s'occuper de leurs enfants mais comme ils sont peu diplômés ils ne vont pas forcément disposer des bonnes méthodes et/ou compréhensions de cours pour les aider efficacement. Au final ce n'est pas un hasard s'il y a pratiquement 8 fois plus d'enfants de cadres que d'ouvriers en classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE).

7° Si le rôle des familles est important à travers la transmission d'un habitus et la possession de capitaux, ce rôle peut jouer aussi à travers les stratégies des ménages (des familles en fait). Poursuivre une scolarité c'est en effet faire des choix. Or l'arbitrage budgétaire entre les coûts et les bénéfices privilégie les familles qui ont déjà les moyens financiers, c'est-à-dire les familles aisées. Elles vont sur-estimer les gains de poursuite des études et sous-estimer les coûts. Ce sera l'inverse pour les familles modestes qui vont sur-estimer les coûts et vont donc privilégier les études courtes, alors que les chances d'appartenir aux catégories supérieures dépend du niveau de diplôme.

8° Enfin les inégalités scolaires ont une dimension genrée qu'il ne faut pas négliger. Les filles et les garçons intériorisent les comportements féminins et masculins vecteurs d'inégalités. Ces comportements stéréotypes sont véhiculés par les familles, les médias, les rapports sociaux ordinaires. Ils aboutissent à ce que les filles, considérées comme plus douces, dociles, attentionnées, se portent vers les filières sanitaires et sociales, le care (le soin, ex. infirmières) ou les études littéraires. Aux garçons et leurs vertus d'intrépidité, de courage, de technicité, les filières scientifiques, informatiques, techniques et sportives les conduisant à choisir des filières correspondant à ces traits de caractère. Or il se trouve que les filières investies par les garçons, au delà des inégalités salariales entre hommes et femmes, sont plus porteuses en matières de carrières et de salaires. N'oublions pas non plus, ce qui a déjà été souligné dans le programme, le plafond de verre (moins de chance d'accès aux postes à responsabilité) et les murs de verre (les postes à responsabilité secondaire ou les moins prestigieux) qui assignent en quelque sorte les femmes à résidence, même si des progrès sont réalisés, pensons à C. Lagarde, ancienne directrice du FMI et désormais présidente de la BCE …

Trame 7. Les transformations du travail et de l'emploi

Le 17/02/2024

1° Il faut déjà commencer par ne pas confondre travail, emploi et activité. Si le travail renvoie à une activité qui n'est pas toujours marchande ou rémunérée, l'emploi lui est forcément rémunéré et procure de ce fait un statut social. Un smicard par exemple a plus de droits sociaux qu'un parent au foyer. La notion d'activité est encore à part puisqu'elle inclut à côté de l'emploi (les actifs occupés), les chômeurs (les actifs inoccupés).
2° Si l'emploi typique issue de la norme fordiste des 30 glorieuses continue de dominer, on sent une fragilisation depuis les années 70 avec la crise et la tendance à la flexibilisation du travail. Pour faire simple, 80 % des contrats sont des CDI à temps plein mais 80% des embauches sont des CDD.  Le flux entrant d'emplois est "atypique" mais le stock reste "typique" puisque les CDD ont vocation à devenir des CDI. Que les contrats typiques restent globalement très majoritaires n'est pas neutre sur le statut des emploi et du travail. C'est en effet à partir de l'emploi salarié que des droits sociaux sont ouverts aux travailleurs : couverture maladie, pension retraite, ... A l'évidence le salariat est protecteur. Aussi la "destabilisation des stables" pour reprendre l'expression du sociologue français R. Castel annonce-t-elle un futur désenchanté.
4° Précisément les frontières entre emploi, chômage et inactivité se sont affaiblis au cours du temps. Nous avions déjà largement évoqué le développement du sous-emploi et du halo autour du chômage dans le chapitre précédent. Néanmoins on observe depuis quelques années une diminution de la part des contrats à durée déterminée subi.
5° Avoir un emploi ne dit toutefois encore rien sur la qualité des emplois. Ce thème est mis en avant par les institutions européennes en complément du calcul des taux d'emploi. Des organismes internationaux comme l'OCDE calculent leurs propres indices de qualité de l'emploi à travers des prescripteurs de qualités d'emplois. Le programme officiel nous invite à en retenir 6 : conditions de travail, niveau de salaire, sécurité économique, horizon de carrière, potentiel de formation, variété des tâches. Remarquons que le niveau de salaire, même s'il correspond à un motant par définition  "quantitatif" est considéré comme faisant partie de la qualité de l'emploi.
6° Dans la mesure où les conditions de travail et la variété des tâches caractérisent en partie la qualité des emplois, leur analyse et leur évolution dans le temps deviennent cruciales. Puisque la division du travail au sein de l'entreprise (aussi appelée division technique du travail) a suscité de nombreuses réflexions et a contribué à dégrader les conditions de travail, c'est l'organisation scientifique du travail initiée par F. Taylor (1856-1915) qui va constiuer le départ de la réflexion. Taylor n'est pas le premier à spécialiser les tâches dans l'entreprise puisque le principe de DTT a été décrit en 1776 par A. Smith s'appuyant sur l'exemple qui restera célèbre de la manufacture d'épingles. Taylor va en fait systématiser la division existante du travail et va l'approfondir à travers une double division, verticale et horizontale.  
7° La taylorisme est généralement associé à la double division du travail. Taylor caractérisera sa méthode d'organisation scientifique du travail (OST) car il va réorganiser les tâches de manière à les optimiser. On parlera de rationalisation du travail. Le travail des ouvriers sera analysé, chronométré de manière à éliminer les gestes inutiles. Il n'y aura alors qu'une seule bonne manière de réaliser le travail, la "one best way". Le travail et donc les tâches à effectuer sont pensés en amont, tout est prévu et organisé. Les ouvriers n'ont pas d'initiative à prendre et se contentent d'appliquer les consignes. Dans l'entreprise, il y a ceux qui conçoivent le travail (le directeur, les ingénieurs dans le cadre du bureau des méthodes) et ceux qui l'exécutent. C'est la division verticale du travail. Mais les tâches, on le devine, sont recomposées pour être simplifiées à l'extrême. Le travail va être parcellisée. Le sociologue français G. Friedmann (1902-1977) parlera du "travail en miettes". C'est le principe de la division horizontale du travail. Pour motiver les salariés Taylor propose le salaire à la pièce (ou salaire au rendement). Cela incite à en faire le maximum et effectivement les gains de productivité augmentent mais au prix d'une dégradation des conditions de travail. D'ailleurs celles-ci vont encore se dégrader avec le fordisme.
8° Le fordisme, initié par le constructeur automobile H. Ford, accentue encore le taylorisme avec le travail à la chaîne. C’est pour cela que l’on parle du « tayloro-fordisme ».  Ford ajoutera encore deux « innovations » : la standardisation des pièces qui permet de gagner du temps et le principe des salaires élevés symbolisé par le « Five dollars a day ». C’est cet intérêt pour la rémunération des salariés qui permettra de caractériser la croissance des 30 Glorieuses de « croissance fordiste », associé à la « norme fordiste d’emploi ». Le partage de la valeur ajoutée est favorable aux salariés, ce qui permet d’alimenter la croissance en articulant production et consommation de masse. Mais à l’orée des années 70, la machine se grippe. 
9° Le fordisme, phase ultime de l’OST, rencontre 2 types de limites. D’abord des limites internes. Les mauvaises conditions de travail finissent par démotiver les salariés, qui s’absentent, font grèves, expliquant ainsi le ras-le-bol ouvrier de mai 68. Ensuite des limites externes liées à l’intensification de la concurrence internationale avec la crise des années 70 et la fin des 30 Glorieuses. Il faut trouver une organisation du travail qui puisse s’adapter, être flexible et répondre aux exigences naissantes de la clientèle. 
10° Aussi à partir des années 70 puis surtout 80, de nouvelles formes d’organisation du travail (NFOT) vont-elles se mettre en place, rompant plus ou moins avec le tayloro-fordisme jugé trop rigide et contraignant.  Si de nouvelles pratiques se mettent en place comme la rotation des postes, l’enrichissement des tâches, les cercles de qualité, etc. , c’est en fait à partir d’un modèle de production existant depuis les années 50 au Japon, le toyotisme, impulsé par l’ingénieur T. Ohno (1912-1990). Ce modèle repose sur des principes clefs comme la production en juste à temps (JAT) visant à éliminer toutes les formes de gaspillage avec la logique des « 5 zéros » : 0 papier, 0 défaut, 0 stock, 0 délais et 0 pannes.  Désormais c’est le client qui par sa commande enclenche la production, ce qui nécessité une grande adaptabilité car les demandes ne sont plus standardisées. Pour réduire les stocks Toyota utilise la méthode du kanban (systèmes d’étiquettes). Pour améliorer la production et réduire les coûts, l’ensemble des salariés est enjoint de trouver des solutions et de les faire remonter. C’est le principe du kaizen. 
11° A partir de là se pose la question de la supposée nouveauté des NFOT. Les cadences ont-elles totalement disparu ? Le travail cadencé appartient-il définitivement au passé ? Il apparaît bien que non, ce qui suggère que nous serions tout autant dans une ère de néo-taylorisme que de post-taylorisme avec par conséquent des conséquences ambivalentes sur les conditions de travail. Certes globalement les salariés sont davantage autonomes, polyvalents, responsabilisés. La management participatif autour des cercles de qualité par exemple rompent avec la division verticale du travail. Toutefois cela implique aussi de la réactivité et une adaptation sources de stress et de mal-être psychologique. Les nuances à apporter en termes d'organisation du travail et de conditions de travail sont parallèles à l'évolution technologique et au développement du numérique. 
12° Le numérique brouille les frontières du travail, transforme les relations d'emploi et accroît les risques de polarisation des emplois. Les temps consacré à la vie professionnelle et à la vie personnelle n'est plus aussi clair qu'auparavant. Le télétravail qui s'est développé durant le confinement en est la parfaite illustration. Si cela permet à priori plus de liberté et moins de perte de temps dans les transports, il y a un risque de surmenage et de traçabilité. Ce n'est pas un hasard si les salariés en télétravail en moyenne un peu plus d'une heure par semaine que les autres. Ensuite la relation d'emploi est largement modifiée.  De nombreuses tâches ont pu être rendues routinères, externalisées et le statut d'emploi précarisé. C'est ce que symbolise l'expression d'ubérisation de la société : des travailleurs à la tâche organisés dans le cadre de plate-formes (chauffeurs VTC ou uber eat). C'est pour cette raison que les droits accordés aux salariés des plate-formes numériques dépendent des pays et de leurs systèmes de justice. Enfin le numérique accroît la polarisation des emplois déjà évoquée dans le chapitre 1 comme conséquence du progrès technique. Les salariés en bas de l'échelle risqueront d'être encore plus précarisés, avec le risque d'illectronisme et avec ce qu'on appelle la gig economy, l'économie des emplois flexibles et mal rémunérés. 
13° Les évolutions relatives au numérique interrogent à leur tour le travail comme source d'intégration sociale. Si le travail reste une source d'intégration, son rôle est toutefois fragilisé. Concernant le côté positif, le travail est encore une source de revenu qui permet l'intégration à la société de consommation et offre des droits sociaux (Protection sociale) à travers l'emploi typique (CDI à temps plein) qui reste quand même la norme. Ensuite le travail est source d'intégration sociale qui offre reconnaissance et protection pour reprendre la terminologie de S. Paugam Ce n'est pas un hasard si E. Durkheim fait déjà de la division du travail qu'il qualifie de « social » la forme de solidarité des sociétés industrielles modernes. Et pour reprendre ce que disait R. Castel, le travail protège de la désaffiliation lorsque la sphère socio-affective est extrêmement réduite voire nulle. Enfin le travail ouvre aux droits de la protection sociale qui permet aux individus de rester intégré à la société malgré la maladie, les accidents du travail ou la vieillesse. Côté négatif, le travail est fragilisé par les formes atypiques d'emplois (CDD à temps partiel, interim) et le chômage de longue durée qui jouent sur les relations personnelles et le pouvoir d'achat. Le développement des travailleurs pauvres dans les années 80 aux USA s'est propagé en France mais aussi en Allemagne. Ensuite la qualité des emplois s'est polarisé au sens où les travailleurs qualifiés s'appuient sur des travailleurs non qualifiés réalisant les tâches serviles (ménage, baby-sitting, livraison de plats) renvoyant à une néo-domesticité comme l'indique A.Gorz. L'intégration par le travail devient davantage incertaine. Enfin la dégradation des conditions de travail à travers l'ubérisation de l'économie, du néo-taylorisme et de l'individualisation des carrières professionnelles ont affecté la capacité réelle du travail à intégrer. 

Trame 6. Quelles politiques de l'emploi ?

Le 07/02/2024

1° Lutter contre le chômage implique de savoir comment on mesure le chômage. De ce point de vue il existe au moins 2 mesures, l'une proposée par le BIT (Bureau internationale du travail), l'autre par l'INSEE qui s'appuie en fait sur les demandeurs d'emplois inscrits à France travail (anciennement Pôle emploi).Dans un cas il faut être disponible dans les 15 jours, rechercher un emploi et ne pas avoir travaillé plus d’une semaine dans la semaine. Dans l’autre cas il faut être inscrit sur les listes de France travail et effectuer des recherches d’emploi.

2° Non seulement le cœur du chômage se laisse mal définir mais en plus il existe toute une zone grise qui renvoie soit au sous-emploi, soit au halo du chômage. Dans le premier cas il s'agit de situations frontalières au chômage et à l'activité, en particulier le temps partiel subi. Dans le second cas il s'agit des situations frontalières au chômage et à l'inactivité, CAD des personnes qui ne remplissent pas les conditions du BIT pour être considérées comme chômeurs par exemple le fait de ne pas être immédiatement disponible pour travailler.

3° Avant de lutter contre le chômage, encore convient-il de faire le bon diagnostic. Le chômage a 2 grandes causes, soit structurelle, soit conjoncturelle.

4° Le chômage structurel est par définition le plus profond.  Il est indépendant de la conjoncture économique, c’est-à-dire que le chômage structurel ne baisse pas même si la croissance économique est forte. Il renvoie aux rigidités du marché du travail, à des problèmes d’appariement et aux asymétries d’information.

5° Les rigidités renvoient au cadre institutionnel qui impose des règles contraignantes protégeant excessivement les emplois (limites aux licenciements, indemnités Prud’hommales, …) et qui impose un salaire minimum élevant le coût du travail, ce qui crée du chômage si l’on suit la référence néoclassique standard d’équilibre sur le marché du travail. Un salarié doit-être payé à sa productivité. Il faut accepter des baisses de salaire si le niveau de productivité est insuffisant. Mais ce modèle est très hypothétique et correspond au marché de concurrence pure et parfaite. Le chômage est dans ce cas volontaire, voulu, consciemment ou non, par les chômeurs, les syndicats ou le pouvoir politique.

6° C’est justement la remise en cause de l’hypothèse d’information parfaite qui aboutit à réfléchir au lien salaire-productivité. Ce sont les entreprises qui font face à une asymétrie d’information. Ainsi elles ne connaissent pas les caractéristiques de leurs futurs employés (c’est l’asymétrie d’information ex ante) et vont proposer des salaires plus élevés pour attirer les meilleurs. Ensuite une fois embauché, les entreprises ne savent pas si les employés fourniront les efforts maximums (c’est l’asymétrie d’information ex post) Aussi vont-elles proposer des salaires plus élevés que la moyenne du marché (que l’équilibre concurrentiel). Dans les 2 cas, le salaire supérieur au salaire d’équilibre correspond à un salaire d’efficience, ce qui occasionne du chômage, par rapport à la situation concurrentielle idéale. Remarquons qu’il s’agit ici d’un chômage involontaire lié au fonctionnement même, imparfait, du marché du travail.

7° Enfin le chômage peut aussi être involontaire du fait d’un mauvais appariement entre les postes de travail crées ou en instance de l’être (les postes vacants). Ce type de chômage qui n’est pas volontaire, renvoie à la courbe de Beveridge. Plus le chômage est faible plus le nombre de postes vacants augmente. Toutefois pour un nombre de postes vacants le taux de chômage peut être plus ou moins élevé selon le fonctionnement plus ou moins efficace du marché du travail.

8° A côté du chômage structurel, il y a le chômage conjoncturel qui est lié aux variations du taux de croissance du PIB à court-moyen terme. Lorsque la conjoncture se dégrade, les entreprises ont moins de débouchés, la demande globale (dépenses d’investissement et de consommation) diminue et les entreprises licencient ou n’embauchent plus. Le chômage résulte alors de la confrontation de la population active avec le niveau d’emploi réclamée par la demande effective CAD par le niveau de production des entreprises et des administrations.

9° Une fois les causes du chômage mises en lumière, on se doute que les politiques de l’emploi vont être différentes selon les circonstances et le diagnostic effectué. On ne lutte pas de la même façon contre le chômage conjoncturel et contre le chômage structurel. A quoi bon baisser les salaires ou requalifier une population si les entreprises ont des carnets de commande vides ou insuffisants ? Et même au sein du chômage structurel, à quoi bon baisser les salaires si les entreprises ne trouvent pas de candidats pour occuper les postes de travail qu’elles ont créé ? Elles risquent fort d’augmenter les salaires pour attirer les rares actifs susceptibles de les occuper !

10° Pratiquer une politique de relance est la meilleure arme pour lutter contre le chômage conjoncturel : Politique monétaire expansionniste et politique budgétaire de relance. C’est qu’on fait les pays au moment de la crise des subprimes ou lors du confinement. De telles politiques s’inspirent évidemment de la logique keynésienne car le chômage est le résultat d’une demande effective insuffisante et correspond à un équilibre de sous-emploi. Il faut impérativement que l’Etat intervienne. Cela se justifie d’autant plus que les dépenses de l’Etat ont un effet multiplicateur sur l’économie. Tout investissement public a un effet plus que proportionnel sur le PIB (le revenu global). Toutefois la politique de relance a des limites. Elle creuse les déficits public et extérieur et menace donc à terme la solvabilité des Etats. Pensons à l’échec de la politique de relance de 1981 et au plan de rigueur mis en place en 1983.

11° Alléger les charges sur les bas salaires est la façon contemporaine de baisser le coût du travail plutôt que de vouloir baisser, voire supprimer le salaire minimum. Ainsi on encourage les embauches de travailleurs peu qualifiés, les plus soumis au chômage, et on évite de mécaniser à tout va car les machines reviendraient moins cher que les salariés. La baisse du coût du travail permet aux entreprises de gagner en rentabilité et en compétitivité. Le gain en croissance économique permet ensuite d’embaucher également des travailleurs qualifiés. Toutefois l’effet finale est indéterminé car le progrès technique n’est pas encouragé par l’embauche initiale de travailleurs peu qualifiés. Par ailleurs la politique d’allègement de charges peut favoriser un effet d’aubaine pour les entreprises qui profitent d’une mesure alors qu’elles auraient de toute façon embauché.

12° Améliorer l’appariement semble bien plus positif puisqu’il s’agit de favoriser la formation professionnelle en plus de la formation initiale. La mise en place de France compétences illustre bien cette tendance même si le droit individuel à la formation est reconnu depuis 2004 et si le Compte personnel de formation a été crée en 2015. On remarque que l’alternance a pris une ampleur considérable depuis quelques temps. On comprend en tout cas que la formation professionnelle, CAD la formation continue, enrichisse le capital humain des salariés et donc favorise leur productivité ou un changement d’emploi en cas de licenciement ou de démission.

13° Enfin la flexibilité, qui prend diverses formes, est un moyen de lutter conte les rigidités qui pèsent sur le marché du travail et contraignent les entreprises. Elle peut être quantitative, qualitative ou renvoyer plus prosaïquement à la flexibilité salariale. Les pratiques de flexibilisation ont toutefois des conséquences néfastes sur les salariés par exemple pour organiser leur emploi du temps (pensons aux contrats 0 heure anglais) ou pour avoir une stabilité salariale et donc en termes de revenu. Difficile de se projeter dans l’avenir dans ces conditions ou plus simplement obtenir un crédit.   

Chômage volontaire

Chômage involontaire

Chômage structurel

Salaire minimum, législation protectrice du travail

Asymétrie d’information (salaire d’efficience), mauvais appariement

Chômage conjoncturel

Chômage keynésien

Trame 5 - Quelle politique dans un cadre européen ?

Le 25/01/2024

1° Il n'est pas difficile de faire remonter les débuts de la construction européenne à la CECA en 1951. Les pays déclarent alors ouvertement leur désir de ne plus faire la guerre et de confier à une autorité supranationale la production de ressources clefs lors d'une guerre. Les pays membres de cette communauté constitueront le noyau de l'ambition économique et politique européenne et initieront en 1957 le Traité de Rome instituant le marché commun et ce qu'on appelera la CEE (DOC1).

2° Pour comprendre les étapes de la construction européenne il est utile de se référer aux étapes de l'intégration économique mises en lumière par B. Balassa. Nous voyons ainsi que le Traité de Rome qui institue la CEE (Communauté économique européenne) institue d'emblée un marché commun qui prendra du temps à être mis en place et qui débouchera même sur un marché unique avec l'Acte unique de 1986, voulu par J. Delors décédé en janvier 2024 (DOC1).

3° L'Union européenne est instituée avec le Traité de Maastricht (1992) qui prévoie aussi, pour les pays signataire de la clause, l'adoption d'une monnaie unique, l'euro. L'Union économique et monétaire apparaît alors comme l'étape ultime de l'intégration économique selon B. Balassa (DOC1). La mise en place de l'euro résulte aussi plus lointainement des conséquences de la dislocation du régime de Bretton Woods (début des années 70) et de la coopération monétaire qui s'en est suivi au niveau européen ("serpent monétaire" puis Système monétaire européen – SME).

4° A l'évidence la monnaie unique favorise le marché unique en même qu'elle en est une conséquence logique. Elle dipose d'un certain nombre d'avantages : suppression des coûts de conversion et du risque de change, augmentation des échanges, fin des dévaluations compétitives, comparaison instantanée des prix entre pays de la zone euro et dans une moindre mesure favorise l'identité européenne et concurrence le dollar comme monnaie internationale. Remarquons que l'adhésion à la zone euro supposera le respect de 4 "critères de convergence" dont 2 resteront célèbres car à la base du futur Pacte de Stabilité et de croissance encadrant les politiques budgétaires : un déficit public ≤ à 3% du PIB et une dette publiques ≤ à 60% du PIB (DOC3).

5° Si l'euro favorise les échange intra-zone (entre pays de la zone euro), le marché unique favorise la croissance économique. Cela joue à travers la spécialisation selon les avantages comparatifs, la hausse de la taille des marchéés et la hausse de la concurrence (DOCS4).

6° Dans le cadre du marché unique, la Commission européenne s'évertue à défendre une concurrence libre, loyale et non faussée. A ce titre elle intervient dans 4 domaines définissant ses objectifs dans le cadre implicite des hypothèses de la concurence pure et parfaite (modèle de CPP) : la lutte contre les ententes et les abus de position dominante et contrôle les concentrations ainsi que les aides de l'Etat (DOC5). Les modalités d'intervention dépendent ensuite du type d'infraction commis : amendes pour les ententes et abus de position de dominante qui, par définition ne se constatent qu'ex-post, interdiction ou autorisant pour les concentrations et enfin obligation pour les entreprises de rembourser des aides de l'Etat qui faussent la concurrence (DOC6). C'est dans ce cadre que la Commission a infligé des amendes à des banques ou à Google ou encore qu'elle a interdit la fusion Alstom-Siemens.

7° Bien que les monopoles contreviennent au modèle de CPP, la Comission n'a pas interdit les monopoles publics déjà constitué de longue date mais les a ouvert à la concurrence. Ainsi la SNCF doit ouvrir des lignes à des compagnies étrangères.

8° Il a longtemps été reproché à la politique européenne de la concurrence de ne pas favoriser l'émergence de champion capable de rivaliser avec les FTN étrangères, notamment américaines ou chinoises (DOC12) ou de taxer ceux qui réussissent. Toutefois la Commission s'est montrée plus conciliante en ce qui concerne les aides d'Etat par exemple avec le "Chips act" qui permet d'aider les entreprises de semi-conducteurs pour réduire la dépendance vis-à-vis de l'extérieur ou encore d'aider les entreprises malmenées par la crise du COVID.

9° Si la politique de la concurrence relève de la politique structurelle, les Etat disposent normalement des politiques conjoncturelles. Il en existe 2, la politique budgétaire et la politiques monétaire qui ont 2 grands objectifs : lutter contre le chômage (politique budgétaire de relance, politique monétaire expansionniste) ou lutter contre l'inflation et les déficits (l'endettement) (politique budgétaire d'austérité, politique monétaire restrictive). Si la POL MON menée par la BCE a longtemps été plutôt restrictive, elle est devenue expansionniste suite à la crise des subprimes en 2007-2009, et même officiellement non conventionnelle en 2015 avec l'adoption du QE (quantitative easing – assouplissement quantitatif). Toutefois avec le retour de l'inflation, fin 2021, la politique de la BCE, suite au revirement de la FED, s'est "normalisée". Ainsi en juin 2022 la BCE a annoncé la fin de son programme de rachat d'actifs et la hausse de ses taux directeurs. Si cette normalisation vise à lutter contr l'inflation, elle risque aussi de nuire à la croissance économique.

10° Concernant la politique budgétaire, le multiplicateur keynésien (ou multiplicateur d'investissement) nous montre qu'une dépense initiale d'investissement a des effets plus que proportionnels sur le PIB. Aussi les Etats n'hésitent-ils pas à "relancer' leurs économies par le déficit en cas de crise, comme ce fut le cas suite à la crise des subprimes ou de la pandémie du COVID qui a bouleversé les chaînes mondiales d'approvisionnement. (DOC15). Toutefois la politique de relance souffre 4 grandes limites : l'effet d'éviction, les risques inflationnistes, la hausse du déficit public et un effet "boule de neige" si l'endettement n'est plus "conrtôlé" et l'absence de relance du fait des comportements d'épargne des agents économiques anticipant des hausses futures d'impôt pour financer le déficit.

11° A partir de là il faut réfléchir à la manière d'articuler les POL MON et BUD de façon à ce qu'elles ne soient pas contradictoires, c'est ce qu'on appelle le policy mix. L'articulation des politiques prend un aspect particulier au sein de la zone euro, puisque la POL MON est supranationale et déterminée par la BCE au nom de la zone euro et que les POL BUD sont encadrées par des règles qui seront en fait plus ou moins repsectées.

12° La POL MON de la zone euro repose sur un objectif prioritaire de stabilité des prix avec une cible d'inflation à 2% d'inflation (taux d'inflation inférieur mais proche de 2%) par une banque centrale indépendante du pouvoir politique, la BCE (Banque centrale européenne). Comme on le voit au 9°, la POL MON au sein de la zone euro a évolué au cours du temps. Elle a actuellement pour directrice la française C. Lagarde. Les Etats membres de la zone euro ne peuvent en tout cas choisir leur POL MON.

13° Si la POL BUD est autonome elle est toutefois encadrée par des règles afin de limiter les abus des Etats et les stratégies de passager clandestin (free rider). La base c’est le principe du « 3 %-60 % » appelé le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) CAD que le déficit ne peut dépasser 3 % du PIB et l’endettement 60 % du PIB. Autour de ce principe vont s’ajoutera un système de sanctions en cas de non respect, ainsi la procédure pour « déficit excessif » mais qui connaîtra des aménagements sans que le principe de base ne soit remis en cause, même par la règle d’or budgétaire de 2012 qui fixe le déficit structurel à 0,5 % du PIB. Les dernières décisions donnent encore plus de marge de manœuvre aux Etats en excluant des 3 % les dépenses liées à la transition énergétique.

14° Si les contraintes budgétaires ont été assouplies c’est à l’évidence parce qu’il est difficile d’avoir des règles communes et contraignantes lorsque les situations économiques et les difficultés sont asymétriques. Or, à l’évidence les situations économiques ne sont pas comparables au sein de l’UE et au sein de la zone euro en particulier. CE n’est pas un hasard si certains ont pu parler des « PIGS » pour ces payx d’Europe du Sud (Portugal, Italie, Grèce et Espagne). En cas de choc asymétrique, il est très difficile voire impossible de mettre en place des politiques efficaces car les pays perdent les 4 armes principales : impossibilité de faire varier les taux d’intérêt en fonction de la conjoncture (à moins que la POL MON de la BCE corresponde), impossibilité de dévaluer pour relancer les exportations en cas de crise, POL BUD encadrées, peu voire pas de mobilité des travailleurs pouvant se déplacer d’un pays en crise vers un pays en croissance.

15° C’est pour ces raisons que la construction européenne favorise le moins disant fiscal (impôts et charges toujours moins élevés) CAD qui pousse les pays à réduire les sources de financement des dépenses publiques (Etat et organismes de protection sociale) alors même que les politiques budgétaires sont encadrées. Cela montre l'optique libérale suivie par la Commission européenne depuis le départ. Mais une telle entreprise est- elle viable à long terme ? C'est pour cette raison que l'idée de fédéralisme budgétaire fait son chemin. Il existe un budget fédéral européen qui repose notamment sur les contributions des Etats membres ou les droits de douane perçus mais il ne représente qu'environ 1% du PIB de l'UE contre 25% pour le budget fédéral américain. Un "vrai" budget fédéral implique aussi un plus grand fédéralisme politique puisque l'argent versé par les pays au budget européen ne leur reviendra qu'en partie. La France par exemple est contributeur nette au budget européen depuis très longtemps en versa,t davantage qu'elle ne reçoit ! Le fédéralisme budgétaire implique une grande solidarité entre pays, par exemple que les Français soient prêt à financer les chocs économiques des Grecs ou des Polonais ... et réciproquement. Derrière les questions budgétaires se dessinent donc des questions politiques cruciales : Y a-t-il un (authentique) peuple européen ? Peut-il y avoir une (véritable) souveraineté européenne ?


 


 

Trame 4 - L'engagement politique

Le 15/12/2023

1° L’engagement politique, CAD le fait, pour un individu, de prendre parti sur des problèmes politiques par son action ou ses discours, peut prendre différentes formes. Elle ne résume pas au vote, ni même à l’adhésion à un parti politique. Ainsi on peut militer pour une cause sans être dans un parti politique. On le fera plus probablement dans le cadre d’une association, définissant alors un engagement associatif. Mais un citoyen attaché à certaines valeurs peut agir à travers une consommation engagée.  

2° Si le vote constitue une forme d’engagement politique minimal, le simple fait de voter paraît largement réducteur. Il faut quand même s’intéresser aux débats politiques, aux programmes des candidats et nourrir une attente quand au résultat. De manière plus contradictoire, ne pas aller voter n'est forcément un singne de désengagement politque. Il faut savoir distinguer l'abstentionnisme "hors-jeu" et l'abstentionnisme "dans-le-jeu". Ainsi les abstentionniste "dans-le-jeu" se rapporte davantage aux catégories éduquées maîtrisant les enjeux de la sphère politique mais qui ne se retrouvent pas dans l'"offre" politique, les candidats n'attirant pas ou n'étant pas considérés comme "à la hauteur". Cela rejoint d'une certaine manière la logique du "cens caché" développé par D. Gaxie : Les classes populaires démunies se sentant éloignées des enjeux politiques, par manque de connaissances ou de culture, ne vont plus voter comme si elles ne s'étaient pas acquittées du cens, symbole des années d'études sacralisant un capital culturel et permettant de dominer l'espace social et de comprendre les enjeux politiques.   

3° Au-delà du vote, il y a le militantisme, dans un parti politique, évidemment. Cela passe par la participation aux réunions, à la distribution de tracts, au collage d’affiches, à la participation à des meetings et pourquoi pas à leur organisation. Mais le militantisme peut aussi passer par des associations ou des syndicats. Il existe en effet des associations à connotation politique forte comme Greenpeace ou DAL (droit au logement), contrairement à des associations sportives ou de loisirs. Il est de ce fait parfois difficile de distinguer « militantisme » et « engagement associatif ». Sans doute le militant se distingue-t-il par ses actions concrètes du simple adhérent à un parti ou une quelconque association. Mais un adhérent à Greenpeace risque fort de militer pour défendre sa cause. Si les actions menées dans le cadre de partis, de syndicats ou d’associations sont généralement collectives il n’en va pas de même pour la consommation engagée. Que ce soit sous forme de boycott ou de buycott, le citoyen agit seul, même si des associations sont engagées dans des formes alternatives de consommation.

4° Une fois mis en évidence les formes de l'engagement politique, il peut être intéressant d'en souligner les conditions socio-économiques. Globalement notons que l'engagement économique concerne des hommes, âgés et cadres. Cela ne veut pas dire que les jeunes se désintéressent de la politique. Ils s'engagent davantage dans des formes alternatives au vote (manifestations, vote). De même les femmes sont moins syndiquées et adhèrent à des associations davantage tournées vers le « social ». Enfin les cadres sont surreprésentés dans l'engagement car ils disposent notamment d'un capital culturel et sont habitués à prendre des initiatives et à « mener » des équipes. 

5° Une fois que l'on sait qui a tendance à s'engager, il faut soulever le paradoxe de l'action collective mis en évidence par M. Olson. Étant donnée que l'action collective est coûteuse, en temps et en argent, et que ses bénéfices sont indivisibles (chacun en profite), il est rationnel de se comporter en passager clandestin (free rider) et laisser les autres participer et supporter les coûts alors même que l'action est profitable pour tous.

6° Malgré le paradoxe de l'action collective, des actions à plusieurs pour défendre un intérêt commun sont quand même mises en œuvre. Comment l'expliquer ? A travers 3 raisons. D'abord les rétributions symboliques comme la satisfaction du devoir accompli, le plaisir de « lutter » ensemble, de se faire de nouveaux amis, les gains en notoriété lorsqu'on est membre d'un syndicat ou d'une association, … Ensuite il y a les incitations sélectives qui vont récompenser ou pénaliser les individus, ceux qui participent en leur réservant des avantages ou les gains de l'action. Enfin certaines conditions (structures) politiques constituent des opportunités pour l'engagement comme les régimes démocratiques, des gouvernements peu répressifs, …

7° Une fois que l'on sait que le paradoxe de l'action collective peut être surmonté, reste à voir comment évoluent dans l'histoire les objets, les acteurs et les répertoires de l'actions collective. Il existe en fait et depuis longtemps une multitude de raisons d'agir collectivement et il n'est pas toujours évident de séparer les objets de l'action de leurs acteurs et de leurs répertoires. Tentons quand même l'exercice.

8° Concernant les objets de l'action collective il est d'usage de distinguer les conflits du travail portant sur des revendications matérialistes (des hausses de salaires, de meilleurs conditions de travail) des nouveaux mouvements sociaux portant sur des revendications post-matérialistes. Comme le souligne R. Inglehart, et en accord avec la pyramide de Maslow, des sociétés de plus en plus développées et éduquées, s'attachent davantage à des revendications post-matérialistes ce qui laisse à penser que les NMS se substituent petit à petit aux conflits du travail. Une telle lecture est d'autant plus intéressante qu'elle suggère qu'une lecture marxiste du changement historique (de l'engagement politique) n'est plus pertinente et que le mouvement ouvrier n'est finalement plus à la pointe du chnagement social à travers la lutte de classes. Il est certain que depuis l'Après seconde guerre mondiale, les grèves ont tendance à diminuer, et ce malgré le changement de mode de comptabilisation après 1995. Constat renforcé par la crise du syndicalisme s'expliquant notamment par la tertiarisation (la désindustrialisation, même relative), l'institutionnalisation des syndicats (ils ont été „achetés“ par le pouvoir diront certains). Et pourtant il faut se méfier d'une lecture trop radicale en termes d'évolution vers les NMS. Déjà les conflits du travail n'ont jamais été exclusifs. Pensons au mouvement des suffragettes en Grande-Bretagne début 20ème siècle. Ensuite des mouvements portant sur des valeurs comme le mouvement des droits civils afro-américains contiennent aussi des revendications matérialistes comme „des logements décents“. Enfin la diversification des répertoires propre aux NMS va aussi toucher les mouvements plus traditionnels liés au travail.

9° Concernant pour finir les acteurs et les répertoires, il y a des liens avec les types de revendications (d'objets). Par exemple on ne fait pas grève pour défendre les sans-abris ou la cause femmes (qu'y a-t-il encore à défendre ?). Des manifestations ou des pétitions seront ici appropriées. Autrement les réseaux sociaux permettent des formes temporaires et imprévisibles d'action (manifestations, sit-in). D'une manière générale les Français continuent de penser que le vote est le meilleur moyen de changer les choses au niveau du pays. Si ces modes d'action et d'engagement politique font encore parti des répertoires légaux, il existe aussi des actions illégales qui ont eu tendance à se développer. On pense récemment aux agissements de membres de l'association Soulèvements de la terre, s'attaquant aux forces de l'ordre protégeant un mégabassine, aux pratiques des black blocs „pourrissant“ des manifestations non violentes ou encore à certaines actions des Femen. Les occupations sont aussi généralement illégales comme les ZAD (zones à défendre). Notons aussi que plus les actions sont spectaculaires et plus elles ont de chance d'être véhiculées par les médias. On pense en particulier au préservatif géant placé sur l'obélisque de la Concorde par l'association Act-up à l'occasion d'un journée de lutte contre le Sida en 1993.

10° Les acteurs se sont parallèlement diversifiés puisque les syndicats et les partis politiques sont en perte de vitesse ou peu considérés. En plus de ceux déjà évoqués, citons pêle-mêle les luttes minoritaires avec l'exemple du mouvement Black lives matter, les mouvements altermondialistes comme Attac ou la Confédération paysanne, les groupements comme les black blocs.