L'union des droites ou l'union des deux rives ?

LONGUEPEE Daniel Par Le 01/04/2022 0

Dans Sciences politiques

Tout le monde est bien conscient qu'une recomposition politique est à l’œuvre depuis la victoire d'Emmanuel Macron. Si l'on s’intéresse à la droite, l'enjeu tourne autour du positionnement vis-à-vis du Front national et réciproquement. C'est vraisemblablement en ce sens qu'il faut lire la stratégie récente du FN. Comme ce parti n'est pas parvenu à regrouper l'ensemble de l'électorat sensible à la souveraineté de la France et qui compose les deux rives du clivage partisan, pour reprendre l'expression de J-P Chevénement, il s'est arrangé pour éjecter celui qui le symbolisait, F. Philippot, et a lancé des appels au futur chef du parti Les Républicains. Ce dernier les a gentiment renvoyé dans les cordes tout comme JL Mélenchon, F Philippot, au sujet d'une alliance d'idées avec Les Patriotes.

                De toute évidence le camp de l'union des droites semble le plus important, du moins pour le moment et médiatiquement. Il peut compter sur un allié de taille dans la personne d'Eric Zemmour. Pour celui-ci il faut abandonner les vestiges de l'UMP et reprendre la tonalité du RPR des années 90 autour d'un programme identitaire unissant le FN lui-même recentré sur ses fondamentaux : l'immigration, la lutte contre le terrorisme, … Le programme économique doit arriver en second. Mais il est sans doute hâtif de penser que les problématiques économiques seront neutralisées une fois l'identité mise sur le devant de la scène. Peut-être les citoyens ne sont-ils pas indifférents au positionnement que prendra un éventuel gouvernement de droite identitaire. Certes on dira que la droite « dure » allemande dispose d'un programme économiquement libéral. Seulement l'exemple récent français montre que le candidat F. Fillon a commencé à perdre des voix en déroulant son programme économique, on pense évidemment au non remboursement des soins mineures qui a fait sortir un H. Guaino de ses gonds. A.  Madelin lui-même, chantre du libéralisme politique dans ce pays, a qualifié les  mesures Fillon de Robin des bois inversé ! « On prend aux pauvres pour donner aux riches ! » Ce n'est peut-être pas un hasard si le candidat Macron proposera un remboursement intégral des prothèses auditives et dentaires ainsi que des montures. On ne joue pas avec la Protection sociale des Français ! 

                Fondamentalement l'affirmation des questions identitaires ne peut manquer de rencontrer celles liées à la souveraineté. Elles sont intimement liées, même si la souveraineté porte un ethos positif et l'identité un ethos négatif. Dans la mesure où les Firmes multinationales, sans parler des monstres GAFAM, se jouent des Etats, la posture identitaire peut difficilement être néo-libérale, de surcroît dans un pays comme la France où l'Etat a historiquement joué un rôle d'impulsion, très souvent bénéfique, du moins quand les élites faisaient encore corps avec la nation. Qui ne se souvient des propos de J-M Le Pen s'attaquant au « mondialisme apatride » et qualifiant l'euro de « monnaie d'occupation » ? Peut-être que l'idéal économique est alors celui d'un libéralisme de petits propriétaires, où les services s'échangent in fine contre des services mais où, à l'équilibre le profit est … nul ! Les économistes reconnaîtront ainsi les soubassements du modèle d'équilibre général. L. Walras, théoricien posthume de la droite identitaire ? De nombreux intellectuels de droite en tout cas ont compris qu'il fallait refonder le corps doctrinal. La publication du nouveau mensuel, L'Incorrect s'inscrit dans cette perspective.  Ce n'est pas un hasard si Marion Maréchal Le Pen ainsi que Charles Millon se retrouvèrent pour le lancement du journal. La stratégie d'unification des droites est donc bien en cours. 

                A l'opposée se situe celle de l'union des deux rives, allant des séguinistes aux chevénementistes, de loin la plus intéressante mais aussi la plus difficile à mettre en œuvre.  Qui dit rive, dit séparation … Dans un article de 2009, « Les difficultés d'implantation d'un parti souverainiste en France (1992-2009) », Emmanuelle Reungoat analysait les difficultés à faire se rejoindre les deux rives. Déjà les partis souverainistes ne seraient pas durables à cause par exemple de la mainmise des grands partis qui font pression pour empêcher les signatures ou les investitures. D’ailleurs C. Pasqua ou P. De Villiers n'avaient pas rompu avec leurs partis d'origine. Ensuite les partis souverainistes manquent fondamentalement de ressources, au moins financières, si ce n'est symboliques. Sur ce point la faiblesse de l'emprise médiatique n'est peut-être plus un obstacle majeur avec le développement d'internet et des réseaux sociaux capables d’organiser des manifestations et conférences bien réelles. Citons au moins le Cercle Aristote animé par P-Y Rougeyron. Enfin Reungoat note l'instabilité des partis souverainistes fait d'alliance, de ralliements et de sous-groupes plus ou moins structurés. Aussi la volonté affichée de rassemblement par les Patriotes sera t-il suffisant ? Est-il possible de construire sur les décombres d'un rêve avorté ? Certains des protagonistes d'antan ne sont plus de ce monde, comme Pasqua ou Séguin et Chevénement a décidé de donner sa chance à Macron. Serait-il passé à côté du très intéressant article de Mathieu Slama dans le Figaro du 24 avril 2017 : « Macron-Le Pen ou le retour fracassant de la lutte des classes » ? Il faut quand même parcourir cet article, écrit, excusez du peu dans Le Figaro et non dans L'Humanité : «  La France de Marine Le Pen ... gronde face à l'incroyable arrogance de cette bourgeoisie qui lui donne des leçons d'humanisme et de progressisme du haut de ses 5000 euros par mois … Malgré son talent indéniable, l'ancien banquier Emmanuel Macron ne révolutionne rien ». Voilà qui annonce ces électeurs « à vomir » d'H. Guaino dans l'entre deux tours des législatives. Ce dernier aurait-il été victime d'une naïveté confondante en oubliant que la bourgeoisie a souvent été prête à trahir ses idées pour son portefeuille ? Slama ira aussi jusqu'à vilipender le régime parlementaire, « régime de tous les compromis qui profitent toujours aux lobbies et aux intérêts privés » et conclut son analyse en prophétisant d'un ton amusé et presque bienveillant : "Et peut-être assistera-t-on, dans un avenir lointain, à une réunion de la France de Le Pen et celle de Mélenchon contre la France des libéraux". La mobilisation conceptuelle de la lutte des classes et au final de Marx ne doit pas surprendre, même dans un journal dit de droite. On trouve des références à Marx aussi bien chez E. Zemmour que chez l'ancien politique Philippe de Villiers. A croire qu'ils se sont passés la référence, celle issue du Manifeste où Marx évoque les fameuses eaux glacées du calcul égoïste. L'article de Slama n'annonce pas en tout cas l'alliance des droites mais bien celle des souverainistes où le programme économique antilibéral coule de source. Mais peut-être force t-il le trait pour installer une option politique que d'aucun pourrait qualifier de dangereuse, si ce n'est de suicidaire. Peut-être souhaite t-il qu'un maximum de personnes s'engouffre dans cette brèche afin de pouvoir compter les cadavres qui en sortiront ? Pierre-Yves Rougeyron en fera t-il parti ? Lui aussi milite pour un grand rapprochement des patriotes au delà des clivages habituels. Pour preuve sa mise en lumière des excès « zemmouriens » à l'encontre de F. Philippot lors de sa venue sur Paris Première il y a quelques semaines. 

                Reste alors la référence au gaullisme ... Mais est-ce suffisant ? Il est certain que De Gaulle est le dernier président, si ce n'est le seul, a avoir maintenu le sentiment que la France avait encore un rôle à jouer dans le monde, qu'elle avait un rang à y tenir, avec ses contraintes aussi. Les Français sentent bien au fond d'eux-mêmes qu'ils sont encore redevables à cette posture de grandeur qui animait le général : « la France ne peut être la France sans la grandeur ». Paroles vaines diront certains. La France avait déjà perdu depuis bien longtemps le leadership mondial. Et pourtant, quel joie de pouvoir encore être fier d'être Français. Quiconque a une part de France en lui ne peut que s'émouvoir et se sentir transporté lorsque, suite à un discours prononcé à Cambrai, le général De Gaulle, invite son auditoire à chanter avec lui l'hymne national. La Marseillaise est alors élevée au rang de chant de résistance et d'unité. Quelle image … D'une certaine manière on la retrouve dans le film Austerlitz d'Abel Gance, lors de la scène finale, lorsque Napoléon se découvre devant ses soldats et demande à ce que l'on joue la Marseillaise. Même émotion. Même sentiment de fierté. Le génie français à portée de main …  Dans un ton beaucoup plus populaire, le film Mais qu'est-ce qu'on a fait au bon dieu ?, ne peut s'empêcher une emblématique et fondatrice référence au général De Gaulle. L'esprit français traverse les temps au delà justement des guerres de religion …

 

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