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Le retour du constitutionnalisme sans débat de fond.

LONGUEPEE Daniel Par Le 07/02/2011 0

Avec son projet de loi sur la saine gestion des finances publiques, le gouvernement actuel vise à inscrire dans la Constitution le retour à l’équilibre budgétaire. Une telle idée, qui fait partie de la pharmacoppée libérale oblige au moins les gouvernements à prendre leurs responsabilités. C'était déjà l'idée de Jacques Rueff dans L'Ordre social : rendre les ministres responsables de leurs déficits et instituer un contrôle par un corps de magistrats indépendants. Aujourd'hui c'est le Conseil constitutionnel qui jouerait ce rôle. Mais faudra t-il rendre les ministres responsables de leurs exagérations? Ne disposons nous pas déjà du fameux Pacte de stabilité et de croissance imposant une limite au déficit public et à la dette publique (respectivement 3% et 60% du PIB)? Il est vrai que ce pacte a pris l'eau avec la crise récente. On prévoit par exemple pour la France un déficit autour de 7,5% pour 2010! Ne disposons-nous pas également d’une banque centrale (européenne) à qui a été confiée la mission de ne pas dépasser les 2% d’inflation? D’ailleurs l'Allemagne s'est déjà engagée dans la voie constitutionnelle en s'imposant un retour pur et simple à l'équilibre pour 2016. L’Europe et les pays européens sont par conséquent largement engagés dans la voie constitutionnelle.

La lutte contre le déficit s'inscrit dans une logique qui n'est pas dénouée de tout fondement. A force de s'endetter, un pays finit par consacrer une part croissante de ses recettes au remboursement de la dette et ne dispose plus de marges de manoeuvre. A l'extrême les nouveaux impôts ne servent qu'à rembourser la dette. Nul ne peut vivre indéfiniment au dessus de ses moyens.C'est une règle qu'on a oublié un peu vite notamment aux Etats-Unis où le crédit hypothécaire a laissé croire à un enrichissement sur emprunt (avec le résultat que l'on connaît). Un ménage ne devient pas riche lorsqu'il emprunte pour acheter sa maison mais quand il a fini de rembourser la dernière échéance. Et si les premiers à encourager la politique de dépenses keynésienne étaient aussi les premiers à gérer leur budget de manière sérée?

Le problème avec le projet de loi actuel, c’est le contexte. La réduction des déficits implique en effet de pouvoir jouer sur 2 volets : les dépenses et les recettes. Or en prétendant ne pas augmenter les impôts, le gouvernement est forcément amené à jouer sur les dépenses. Pourquoi pas? Après tout le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux ne partant pas à la retraite peut se justifier au nom de l’efficacité. Toutefois la population désire-t-elle vraiment moins de policiers, moins d’infirmières, moins de professeurs? Ce qui est sur, c’est qu’une partie des gains réalisés dans l’Education nationale sert à financer les heures supplémentaires de ceux qui sont encore en poste... Ne devrions-nous pas nous effrayer d’une telle logique de réduction des postes? Ne veut-on plus que l’Etat assure ses missions? On repense alors à un vieil article de Christian Morrisson publié dans la revue de l'OCDE, Le Cahier de politique économique (n°, 1996). "Pour réduire le déficit budgétaire, une réduction très importante des investissements publics ou une diminution des dépenses de fonctionnement ne comportent pas de risque politique. Si l’on diminue les dépenses de fonctionnement, il faut veiller à ne pas diminuer la quantité de service, quitte à ce que la qualité baisse. On peut réduire, par exemple, les crédits de fonctionnement aux écoles ou aux universités, mais il serait dangereux de restreindre le nombre d’élèves ou d’étudiants. Les familles réagiront violemment à un refus d’inscription de leurs enfants, mais non à une baisse graduelle de la qualité de l’enseignement et l’école peut progressivement et ponctuellement obtenir une contribution des familles, ou supprimer telle activité. Cela se fait au coup par coup, dans une école mais non dans l’établissement voisin, de telle sorte que l’on évite un mécontentement général de la population”, (p. 30). Cette politique qui devait normalement  s’appliquer aux pays en développement laisse quand même songeuse. La France n’est-elle donc plus digne que d’une politique applicable à des pays en difficulté recevant l’aide du Fonds monétaire international ? C’est bien la question du statut de la France qui est en cause. Vouloir l’équilibre budgétaire pour rassurer les marchés financiers comme il est prétendu, c’est admettre que la politique de la France se fait “à la corbeille”. Peut importe ici l’argumentation économique. Sans être romantique et faire fî des réalités objectives, il doit y avoir quand même un “minimum syndical” en la matière !

Ne soyons pas trop hypocrites non plus. Il est vrai qu’au delà d’un certain seuil, la population n’est plus prête à financer un système qui ne lui profite plus, qu’au nom de l’intérêt général, de la solidarité, ce sont finalement des transferts d’argent d’un compte à un autre que l’on tente de justifier. Comme le prétendait Fredéric Bastiat, il y a ce que l’on voit (ce que l’on reçoit sans effort) et ce que l’on ne voit pas (l’argent pris à d’autres). Aussi le dilemme social se fait-il jour entre une société que l’on voudrait égalitaire et harmonieuse et la lutte pour la vie qui implique effectivement des perdants et des gagnants. L’idéal républicain est-il encore capable de faire la jonction entre les deux? Sera-t-on un jour capable de faire la part des choses entre le mérite et la chance? Mais à son tour une société méritocratique pure ne risque-t-elle pas d’être démotivante? Nous voilà en plein dans des questions de justice sociale. Et c’est précisément le débat de fond qui manque avec le projet de loi récent.

Au delà de la question de l’articulation recettes-dépenses, il n’est pas sûr que le montant des recettes soit optimisé dans ce pays. C’est en tout cas ce que montrent Camille Landais, Thomas Piketty et Emmanuel Saez, dans Pour une révolution fiscale. Un impôt sur le revenu pour le XXIème siècle. Pour ces auteurs en effet le système français, au lieu d'être progressif et toucher de plus en plus les plus riches, est au contraire dégressif et donc profondément injuste. Ils en ont même profité pour élaborer un site où il est possible de simulesa propre réforme fiscale. L’extrait suivant issu de leur site est assez éloquent : “Les 50% des Français les plus modestes, gagnant entre 1 000€ et 2 200€ de revenu brut par mois, font face à des taux effectifs d’imposition s’étageant de 41% à 48%, avec une moyenne de 45%. Les 40% suivants dans la pyramide des revenus, gagnant entre 2 300€ et 5 100€ par mois, sont tous taxés à des taux de l’ordre de 48%-50%. Puis, à l’intérieur des 5% des revenus les plus élevés (gagnant plus de 6 900€), et surtout des 1% les plus riches (gagnant plus de 14 000€), les taux d’imposition se mettent très nettement à décliner, et ne dépassent guère les 35% pour les 0,1% des Français les plus aisés (50 000 personnes sur 50 millions)”. A-t-on peur alors, en jouant sur l'impôt que les riches s'en aillent et "votent avec leurs pieds" comme il est parfois dit? Que penser alors de tels gens? Pourquoi le talent désintéressé devrait-il empêcher la médiocrité cupide de passer définitivement les frontières et de chercher foyer fiscal dans quelque bourgade helvétique?

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