Du travail des femmes à la croissance économique : un débouché pour la théorie de la croissance unifiée

LONGUEPEE Daniel Par Le 09/09/2020 0

Selon une projection de l'INSEE, la part des femmes dans la population active passerait de 48,3% en 2020 à 48,1% en 2070. Qu'il y ait 48,3 actifs qui soient des femmes ou 48,1 ne change pas grand chose. Toutefois ce résultat semble contradictoire avec une autre tendance bien connue, celle de la convergence des taux d'activité féminins et masculins. C'est la même chose pour les taux d'emploi qui semble converger vers les 65%. Doit-on parler de paradoxe ?

Plus largement cette question pose un double enjeu. Un enjeu statistique, évidemment mais plus largement un enjeu théorique lié au lien inégalités des sexes – croissance économique.

Concernant le mystère statistique, il peut être résolu d'au moins trois manières. D'abord comparer la part des femmes dans la population active totale et le taux d'activité féminin pose le problème d'une comparaison de quotient (de proportion) ayant le même numérateur (les femmes actives) mais pas le même dénominateur (la population active totale dans un cas et la populaiton féminine en âge de travailler dans l'autre). Ensuite l'augmentation du taux d'activité féminin doit prendre en compte la nature des emplois. En effet comme on le sait, les femmes sont davantage touchées par le travail à temps partiel que les hommes. Par conséquent, il faut plus de femmes au travail en moyenne pour « rattraper » un homme. Aussi la part des femmes en équivalent temps plein peut très bien stagner voire légèrement diminuer de ce fait. Enfin il est possible de se référer à de possibles changements de comportement des femmes dans l'avenir anticipés par l'INSEE.

Plus intéressant est l'enjeu lié à la croissance économique. S'interroger sur le travail des femmes c'est s'interroger sur la marche vers l'égalité des sexes et sur les conséquences d'une telle tendance concernant la croissance économique. De plus en plus d'études montrent que l'égalité homme-femme favorise la croissance. Par exemple en permettant un plus large accès des femmes au marché du travail (ne serait-ce que travailler sans autorisation de leur mari!) augmente la quantité de main d'oeuvre disponible, permet de mieux l'utiliser, de diversifier les compétences, etc. Mais plus fondamentalement, l'égalité homme-femme est associée à des modifications plus larges des stratégies parentales. Par exemple Diebolt et Perrin dans leur article de 2014 « The Foundations of Female empowerment revisited » publiée dans la Revue d'économie politique, arriment cette problématique à celle, passionnante, de la théorie unifiée de la croissance, issue des travaux de Galor. Il s'agit dans ce cadre d'expliquer la trappe malthusienne qui a duré des millénaires et la grande divergence issue de la révolution industrielle anglaise autour de 1750-1780. Ils constatent une corrélation entre l'égalité des sexes et la croissance économique. Il s'agit en tout cas d'articuler l'égalité des sexes, le développement humain et la fécondité. Leur hypothèse est la suivante : c'est le déplacement des femmes de leur foyer au marché du travail qui a contribué à enclencher la croissance économique. Remarquons qu'il s'git d'une contribution, non d'une nécessité absolue.

Diebolt et Perrin considèrent, ce qui n'est pas extravagant, que les transformations du modèle familial vont nourrir notamment une transformation des rapports de sexe. Ils reprennent alors les fonctions traditionnelles de la famille, telles qu'elles étaient enseignées il y a quelques années en cours de SES au lycée : économique, éducative et reproductive. 2 modèles familiaux sont alors distingués. Le modèle pratriarcal (male breadwinner) et le modèle égalitaire (dual-earning model). Evidemment le modèle patriarcal est fondé sur une division sexuée du travail favorisant une forte descendance avec les femmes spécialisées dans l' « élevage » de la progéniture. C'est ce qu'on appelle en langage biologique la r-stratégie, qui est quantitative et qui maximise la descendance. L'autre modèle, en captant pour le travail rémunéré le temps des femmes réduit, d'autant celui pouvant être consacré aux enfants et incite à limiter la descendance au profit de la qualité. C'est la K-stratégie.

Dans la mesure où Diebolt et Perrin se situent dans le cadre de la théorie unifiée de la croissance, ils doivent admettre que le modèle compatible avec la trappe malthusienne est celui qui maximise la descendance, ce qui occasionne une pression sur les ressources disponibles et en plus n'induit pas de hausse de la qualité de la descendance, en termes d'éducation notamment. Puis en conformité avec l'approche unifiée, les auteurs supposent l'apparition du progrès technique bouleversant l'environnement. Mais d'où vient-il ? Certes on comprend qu'il favorise un changement de stratégie parentale et d'investissement dans l'éducation donc de glissement vers un modèle familial plus égalitaire. Mais une femme au foyer peut tout aussi bien et même mieux y satisfaire ! Pourquoi l'investissement dans l'éducation se traduit-il par une plus faible descendance et un modèle plus égalitaire moins patriarchal ? Après on comprend bien que le capital humain soit vecteur de rendements d'échelle croissants, via, au minimum, l'interaction capital-travail. Mais cela n'explique ni l'origine du progrès technique, ni le changement de stratégie familial.

On comprend aussi que la participation des femmes au marché du travail augmente le coût relatif des enfants car elles ont moins de temps pour s'en occuper, et donc en ont moins. Mais est-ce pour autant un gage d'investissement sur la qualité des enfants nés ? Ne faut-il pas un système éducatif organisé pour prendre en charge une telle éducation ? Et dans ce cas les modèles familiaux vont-ils changer du fait que les couples pourront désormais miser sur la quantité de la descendance sans se préocupper de la gestion de la qualité ?

Bien que stimulante cette approche laisse donc de nombreuses questions en suspend. A suivre ...

 

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