société
Trame 11. Comment expliquer la mobilité sociale ?
Par LONGUEPEE Daniel Le 08/06/2024
1° Parler de mobilité sociale suppose une représentation de la société en termes de groupes sociaux, voire de classes sociales, comme analysée dans le chapitre 2. Ainsi connaître une mobilité sociale, c’est changer de groupe social. On utilise généralement la nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles pour l’évaluer. Il y a 6 grands groupes d’actifs. Il est possible pour les groupes 5 et 6 (ouvriers et employés) de distinguer finalement les ouvriers et employés qualifiés des ouvriers et employés non qualifiés. En tout cas la mobilité sociale peut-être intergénérationnelle (entre parents et enfants) ou intragénérationnelle, que l’on qualifie aussi parfois de professionnelle car elle se déroule au cours de notre carrière professionnelle. Il existe par ailleurs une mobilité géographique lorsqu’on change de ville, de région, … Parfois une mobilité sociale peut s’accompagner d’une mobilité géographique. L’INSEE considère quant à elle que la mobilité sociale renvoie à la mobilité intergénérationnelle.
2° La lecture de la mobilité sociale peut se réaliser à partir de 2 tables, répondant à 2 questions différents :
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« Que deviennent les enfants de … ? », que l’on lira dans les tables de destinées.
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« D’où sont originaires les enfants de … ? », que l’on lira dans les tables de recrutement.
Il est facile de comprendre l'intérêt des tables. Déjà la mobilité l'emporte-t-elle sur l'immobilité ? Si la mobilité est plus forte, il convient toutefois de nuancer selon les catégories sociales, CAD selon les PCS. Par exemple on remarque que :
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les mobilités sont d'autant plus fortes qu'elles touchent des groupes sociaux proches (pour les catégories salariées, 3 à 6 dans la nomenclature des PCS). Moins de 10 % des fils d'ouvriers âgés de 40 à 59 ans sont devenus cadres ou exercent une profession intellectuelle supérieure selon la table de destinées de 2014-2015. Ils sont 2 fois plus à exercer une profession intermédiaire. Et pratiquement la moitié à être devenus … ouvriers. C'est ce qu'on appelle la mobilité sociale (intergénérationnelle) sur des trajectoires courtes.
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L'immobilité sociale est la plus forte chez les ouvriers. La moitié des fils d'ouvriers sont devenus ouvriers et parmi les ouvriers, en 2014-2015, pratiquement 1 sur 2 a lui-même un père ouvrier. Ensuite pour d'autres catégorie on peut distinguer les tables. Si le recrutement des CPIS est varié, pratiquement 1 fils de CPIS sur 2 se situera lui-même dans la même catégorie. A l'inverse si la destinée des fils d'agriculteurs est diversifiée (même s'ils sont devenus pour 1/3 ouvriers), on peut parler d'auto-recrutement de cette catégorie puisque plus de 80 % des agriculteurs en 2014-15 ont un père qui était agriculteur.
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La comparaison des tables permet enfin de montrer des évolutions entre la génération des parents et celle des enfants, ce qui renvoie aussi à la mobilité structurelle. Ainsi la baisse de la part d'agriculteurs exploitants montre la chute du secteur primaire. A l'inverse la hausse des CPIS, PI et employés illustrent la tertiarisation de l'économie ou en tout cas sa consolidation. A cet égard la majorité des ouvriers n'est désormais plus dans le secteur secondaire (l'industrie) mais dans le secteur tertiaire. Dans cet ordre idée, la majorité des ouvriers est désormais qualifiée plutôt que non qualifiée marquant la hausse du niveau de qualification dans la société parallèle à la montée des cadres (BAC+5) et des professions intermédiaires (BAC +2/+3).
3° Malgré leur intérêt indéniable, les tables de mobilité présentent un certain nombre de limites :
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La difficulté, voire l’impossibilité, de hiérarchiser facilement certains groupes socioprofessionnels entre eux, ce qui est pourtant utile à une étude significative de la mobilité sociale.
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Les tables de mobilité utilisent le niveau le plus général de la classification en PCS (6 catégories d'actifs) ne permettant pas une vision fine de la mobilité sociale.
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La classification en PCS concerne des actifs occupés ou des anciens actifs occupés, classés selon leur précédente activité professionnelle et ignore les situations de chômage ou de précarité de l'emploi (stagiaires, CDD, temps partiel, …).
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Une table de mobilité conduit à considérer que les groupes socioprofessionnels sont comparables d’une génération à l’autre et que leurs positions relatives restent identiques ; or les métiers et professions évoluent fortement, de telle sorte que les conditions de vie, le prestige, le revenu qui y sont associés sont très différents entre descendants et ascendants.
4° Il est ensuite possible d’affiner l’analyse des tables et de mieux caractériser la mobilité sociale. On ne peut s’en tenir à la mobilité observée CAD à la seule lecture des %. Il faut opérer quelques calculs. Il faut déjà distinguer mobilité nette et mobilité structurelle. La mobilité structurelle correspond à la mobilité « nécessaire » liée à l’évolution des métiers CAD des catégories sociales entre la génération des parents et celle des enfants (la structure socioprofessionnelle entre générations). Par exemple comme on a davantage besoin de cadres il est logique que les enfants d’ouvriers ou d’employés aient + de chances de devenir cadres. Et cela est d’autant plus vrai que les besoins en ouvriers notamment non qualifiés, eux, diminuent. Il y a de toute façon 3 catégories en expansion (CPIS, PI et employés) et 3 en baisse (agriculteurs, artisans, … et ouvriers).. La « vraie » mobilité sociale se mesure davantage par la mobilité nette que par la mobilité simplement « observée » dans les tables.
Mobilité nette = mobilité observée – mobilité structurelle
Il se trouve que la mobilité structurelle diminue au cours du temps laissant plus de place à la mobilité nette. Il arrive en effet un moment où la tertiarisation et la montée des qualifications atteignent une consolidation lorsqu'elles sont exprimées en pourcentages de la population totale.
5° Ensuite il est intéressant de calculer la fluidité sociale qui définit le destin de chacun indépendamment de l’évolution de la structure socioprofessionnelle. C’est le rapport des chances relatives encore appelé odd ratio. Ainsi un enfant de cadres de cadre a environ 20 fois plus de chances de devenir cadre plutôt qu’ouvrier par rapport à un enfant d’ouvrier d’après la table des destinées de 2014-15. De ce point de vue, plus le chiffre est faible et plus la fluidité est forte.
Remarquons qu’une société plus mobile n’est pas forcément plus fluide. En effet le fait que les places de cadres augmentent dans la société ne signifie pas encore que les enfants des catégories populaires y accèdent aussi facilement que les enfants de catégories supérieures. Rien n’indique que l’égalité des chances augmente avec la mobilité sociale.
6° L’idée de mobilité est souvent associée à celle d’ascenseur social. C’est une bonne image tant qu’on garde à l’esprit qu’un ascenseur peut aussi … descendre d’étage ! De ce fait il existe une mobilité ascendante et descendante. Si la première consiste à grimper dans l’échelle sociale (un enfant d’ouvrier qui devient technicien ou ingénieur), la seconde consiste à baisser (un enfant de notaire qui devient manutentionnaire dans un entrepôt d’Amazon ou chauffeur-routier). Si la part de de la mobilité ascendante est toujours supérieure à celle de la mobilité descendante depuis les années 70, le rapport ascendant/descendant a diminué entre 2003 et 2015.
7°Remarquons à ce sujet que toutes les formes de mobilité ne se valent pas. Ainsi passer de la catégorie « ouvriers » à « employés » n'est pas une véritable mobilité sociale étant donné la similitude de mode de vie de ces deux catégories. De la même façon lorsqu'un enfant d'agriculteur exploitant devient artisan, commerçant ou chef d'entreprise, il est difficile de parler de mobilité « verticale », CAD de qualifier un meilleur ou un plus mauvais statut social puisque les 2 catégories ont le statut d'indépendants. Aussi parle-t-on de mobilité non verticale horizontale. Lorsque c'est le statut qui change il est également difficile d'évaluer la mobilité en termes verticaux. Par exemple gagne-t-on en position sociale en passant de cadres ou technicien à commerçant ou artisan ? Difficile de répondre. C'est pourquoi tout passage d'une catégorie de salarié à une catégorie d'indépendants sera qualifié de mobilité non verticale de statut.
8°A côté de la mobilité verticale et non verticale, il reste l'absence de mobilité CAD la mobilité, c'est l'immobilité soit la reproduction sociale, un enfant de cadre qui devient cadre, etc.
9° Lorsqu'on parle de mobilité verticale descendante (démotion), on pense à « déclassement ». Pourtant la notion de déclassement est plus vaste que celle de mobilité verticale descendante. Certes la mobilité descendante, inter ou intragénérationnelle, est une dimension du déclassement. Mais il en existe une autre qui correspond à la surqualification (avoir fait trop d'études par rapport au poste proposé).
10° Enfin il est possible de dégager des spécificités de la mobilité des femmes par rapport à celle des hommes :
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La mobilité ascendante des filles par rapport à leur mère est supérieure à la mobilité ascendante des filles par rapport à leur père. La distribution genrée des statuts socioprofessionnels fait qu’elles ont toujours plus de facilité à progresser socialement par rapport à leur mère que par rapport à leur père. Ce processus risque de s’épuiser au fur et à mesure que les femmes occupent de meilleures places car leurs filles auront alors plus de chances de connaître une démotion (mobilité sociale descendante).
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Les hommes issus du haut de l’échelle sociale connaissent de plus en plus souvent de forts déclassements sociaux (fils de CPIS ou PI devenus des ouvriers ou des employés), mais ils restent moins fréquents que les déclassements plus faibles.
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Entre 1977 et 2015, le rapport mobilité ascendante/descendante augmente + favorablement pour les femmes que pour les hommes.
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Entre 1977 et 2015, la mobilité sociale augmente + pour les femmes que pour les hommes et lui est même devenu supérieur
11° Au final il faut s'intéresser aux causes de la mobilité sociale. Il y en a essentiellement trois :
Le rôle de l'évolution de la structure socioprofessionnelle |
Le rôle des niveaux de formation |
Le rôle des ressources et configurations familiales |
~ Mobilité verticale ascendante : Il est + facile de devenir cadre plutôt qu'ouvrier dans une société qui a davantage besoin de cadres que d'ouvriers ~ Comme le nombre moyen d'enfants par femmes est + élevé pour les familles d'ouvriers ou d'agriculteurs dont les PCS diminuent leur destinée devra se diversifier ~ Le besoin croissant en CPIS, PI et employés s'explique par les évolutions technologiques, la polarisation des emplois, la salarisation, la tertiarisation et la féminisation des emplois ~ La baisse des indépendants s'explique par le développement des hypermarchés, la concentration des exploitations agricoles |
~ L'ascension sociale est permise par les diplômes : Hausse du niveau général d'éducation car besoin d'actifs qualifiés : CPIS et techniciens. Même parmi les ouvriers, ceux qui sont qualifiés sont + importants que non qualifiés. Or une table fine de mobilité distingue employés + ouvriers qualifiés et non qualifiés → cela rejoint la question de la mesure de la mobilité (cf. texte à trous sur les limites des tables) ~ Ne pas avoir de diplôme est d'autant + discriminant malgré le paradoxe d'Anderson et l'inflation scolaire ~Avoir les « bons » diplômes et s'orienter dans les « bonnes filières » : Mais rendu difficile par le rôle des familles |
~ Bien plus souvent, elles empêchent la mobilité sociale : Par l'inégal possession en capitaux, économique, culturel et social) favorise les catégories dominantes et défavorise les catégories populaires et donc l'immobilité sociale plutôt que la mobilité, Par le calcul coût/avantages Par l'homogamie ~ La taille des fratries, l'espace de travail, l'accès aux NTIC. ~ L'investissement familial des catégories défavorisées : employés et ouvriers. |