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Justice sociale

Trame 10. Quelles inégalités sont compatibles avec les différentes conceptions de la justice sociale ?

Par Le 08/05/2024

1° Il peut sembler contradictoire de considérer que des inégalités soient compatibles avec la justice sociale. En effet la justice sociale est généralement appréhendée à travers sa quête d'égalité, sa valorisation de la méritocratie, son combat contre les privilèges. Toutefois déjà à ce niveau une tension apparaît avec la problématique des inégalités. En effet l'expression des mérites et des talents individuels risque d'aboutir à des inégalités économiques concrètes en termes de revenus puis de patrimoine. Ce sera précisément toute l'ambition de l'égalitarisme libéral que de concilier ces deux aspects.

2° Quoi qu'il en soit, les inégalités sont multiples et ne résument à leur dimension économique bien que cette dernière soit primordiale dans l'univers capitaliste qui est le notre. 5 mesures des inégalités doivent être retenues :

Les mesures ...

statiques

dynamique

Rapport inter-quantile : rapport inter-décile, rapport interquartile, interquintile

Courbe de Lorenz

Coefficient de Gini

Top 1%

Corrélation de revenu parents-enfants (élasticité intergénérationelle de revenu


 

Quelque soient les mesures, l'histoire des inégalités économiques depuis le début du 20ème siècle connaît 3 grandes phases :

- 1ère phase : 1920 → 1ère GM 

Les inégalités économiques sont surtout liées à la possession d'un patrimoine (qui procure le revenu des + riches) = économie de rentiers. L'Etat-Providence est peu développé et la redistribution est faible, ex. l'impôt sur le revenu en France n'est voté qu'en 1914.

- 2ème phase : 1ère GM → fin années 70

Accélération de la baisse de la part des 1% les + riches après la 2GM car destruction de capital et donc du capitalisme patrimonial. Par ailleurs le krach boursier de 1929 qui a dégénéré en grande dépression a détruit une bonne part des patrimoines financiers. Enfin le développement des Etats-Providence (redistribution, services publics). Cela correspondra à la moyennisation de la société (Protection sociale, massification scolaire, accès à la consommation de masse).

3ème phase : Depuis la fin des années 70

Les inégalités économiques reposent davantage sur les inégalités salariales et ont pour cause les évolutions technologiques. Par ailleurs le retour en force des idées libérales (R. Reagan président US entre 1980 et 1988, M. Thatcher prime minister anglaise entre 1979 et 1990) a favorisé la financiarisation de l'économie amplificatrice d'inégalités (hausse des patrimoines financiers). Cette logique libérale vise aussi à contester de + en + l'Etat-Providence généreux, pensons récentes réformes des retraites, des remboursement médicaments et de l'assurance-chômage en France.

3° En plus des inégalités économiques il y a aussi des inégalités sociales, culturelles et politiques qui se renforcent les unes les autres, CAD qui sont cumulatives. Au seul niveau économique des inégalités économiques se renforcent via les inégalités de patrimoine qu'elles génèrent. Au niveau plus général, les inégalités de capital culturel par exemple qui ont elles mêmes pour origine des inégalités sociales génèrent des inégalités économiques via les inégalités de réussite scolaire et la transmission d'un habitus de classes selon l'analyse de P. Bourdieu. Les inégalités de capital culturel peuvent aussi jouer sur le rapport à la santé, les catégories aisées misant davantage sur la prévention et étant moins soumises aux risques professionnels. De là une espérance de vie bien supérieure. Bihr et Pfeffeerkon ont montré quand même montré que les inégalités au sein des rapports de production et que les inégalités de revenu disponible, soient des inégalités économiques, étaient celles qui expliquaient le plus d'inégalités sociales.

4° Une fois reconnu le caractère multiforme et cumulatif des inégalités reste à voir quels sont les types d'égalités (et donc d'inégalités) conformes aux différentes conceptions de la justice sociale. Nous considérons qu'il existe 3 types d'égalité (des droits, des chances et des situations) pour 4 grandes conceptions de la justice sociale.

L’utilitarisme

Le libértarisme (l'anarcho-capitalisme)

L'égalitarisme libéral

L'égalitarisme strict

Maximiser le bien être pour le plus grand nombre

Limiter (voire interdire) toute forme de redistribution (l'impôt est une forme de vol) et laisser faire le marché et la compétition

Assumer les inégalités économiques en assurant l'égalité des chances et l'accès pour tous aux libertés fondamentales

Assurer l'accès égalitaire pour tous à toutes les ressources

Toutes les inégalités peuvent être acceptées pourvu qu'elles augmentent le bien-être collectif

Seule l'égalité des droits doit être garantie.

Les inégalités des chances et de situation sont acceptables

L'égalité des droits et l'égalité des chances doivent être garanties. Les inégalités de situations sont acceptables si elles bénéficient aux plus défavorisés

Aucune inégalité n'est acceptable

5° La mise en place de l'égalité, quelle qu'elle soit, implique l'intervention des pouvoir publics à travers 2 formes de redistribution, verticale et horizontale. Si la redistribution verticale consiste à prendre aux riches pour donner aux pauvres, la redistribution horizontale consiste à prendre aux actifs, aux biens portants, aux célibataires pour donner respectivement aux retraités, aux malades et aux familles.

Il existe par ailleurs 4 grandes formes d'action des pouvoirs publics :

La fiscalité …

La protection sociale ...

Les services collectifs ...

La discrimination positive ...

aux effets différents selon les types d'impôt ou de taxes, du plus redistributif (impôt sur le revenu progressif) au plus dégressif (TVA et impôt sur les revenu pour les plus riches, surtout le top 1%)

dessinant 2 grands types, le type bismarckien (financé par les cotisations sociales sur les salaires) qualifié d'assuranciel car ne protégeant que les cotisants et le type beveridgien (financé par l'impôt) qualifié d'assistanciel car protégeant l'ensemble des citoyens

dont l'accès est égal pour tous et généralement gratuit, ce qui favorise les plus démunis car ces derniers contribuent moins que les riches à leurs financement (École, Justice, Police, ...)

visant à assurer l'égalité des chances en accordant des avantages à ceux qui sont au départ désavantagés (donner plus à ceux qui ont moins et donc créer des inégalités réparatrices) comme les concours parallèles d'accès aux filières sélectives ou la récente loi contre les discriminations capillaires

Une fois reconnues les formes d'intervention des pouvoirs publics pour assurer la justice sociale, il faut en identifier les contraintes et les limites

6° Les contraintes financières liée à l'intervention de l'Etat-Providence sont bien connues et font régulièrement la une des informations. Le déficit et l'endettement publics en sont les symptômes manifestes. Des cercles vicieux menacent l'intervention des pouvoirs publics. Concernant l'endettement, le risque c'est que le remboursement de la dette oblige à y consacrer une part toujours plus grande des recettes, limitant par là même les possibilité d'engager des politiques en faveur de la justice sociale. La sécurité sociale fait aussi face au défi de « l'effet de ciseaux » : une hausse des dépenses sociales liée au vieillissement de la population et à l'amélioration de la couverture de soins en face d'une baisse des recettes à cause du chômage. Un autre cercle vicieux se met alors en place car pour financer le « trou de la Sécu » il faut augmenter la pression fiscale, ce qui désincite au travail et donc nuit à la croissance économique, source des recettes publiques.

7° Enfin l'Etat-Providence fait face à une triple crise : d'efficacité, de légitimité et de risque d'effets pervers.

Pour la crise d'efficacité, il suffit de montrer que, malgré des dépenses importantes, le taux de prélèvements obligatoires dépassant les 40% du PIB en France, la pauvreté et les inégalités n'ont pas été éliminées. Même s'il est en diminution, le nombre d'allocataires du RSA (Revenu de solidarité active) reste supérieur à 1,8 millions.

Pour la crise de légitimité, elle renvoie largement à la critique libérale de l'Etat-Providence. Ce dernier ne favoriserait pas la prise de risque ou la responsabilisation (être responsable de sa vie et ne pas tout attendre de l’Etat). Par ailleurs il entretiendrait les pauvres et les chômeurs dans l’assistanat, considérés comme des « parasites ». De là l'idée de « trappe à inactivité », les individus préférant vivre des minimas sociaux plutôt que de chercher du travail. Enfin le système français de Protection sociale apparaît encore très inégalitaire, ex. système spéciaux de retraites qui accordent des avantages à certains. Pour toutes ces raisons c'est le consentement à l’impôt [CAD l’accord tacite (implicite, non ouvertement exprimé) à continuer à payer leurs impôts parce qu’ils considèrent qu’il est juste] qui est menacé. Or ce consentement diminue lorsque la pression fiscale (le Taux de prélèvements obligatoires) augmente et ce d’autant plus que la redistribution manque d’efficacité.

Pour finir le risque d’effets est lié au phénomène de désincitation CAD au fait que les agents économiques ne sont plus incités à gagner de l’argent, faire des efforts, innover, … La courbe de Laffer permet d'illustrer au mieux ce mécanisme aboutissant à l'expression : « Trop d'impôt tue l'impôt ». Il existerait un taux optimal d'imposition au delà duquel les recettes fiscales, au lieu d'augmenter, diminuent. Au-delà de ce taux les agents économiques réduisent leurs efforts, n’innovent plus, ne prennent plus de risques, ce qui fit diminuer les recettes pour l’Etat, ce qui est contre-productif ! Des impôts trop forts sont désincitatifs, ils n’encouragent pas à produire, … On retrouve ici le discours libéral qui s’oppose au discours keynésien. Pour Keynes en effet prendre aux riches pour donner aux pauvres (redistribution verticale) est efficace car les riches ont tendance à épargner alors que les pauvres ont tendance à consommer. Cela permet de montrer que derrière les conceptions de la justice sociale se cache aussi des théories économiques concurrentes.