Comment utiliser la notion de choc en économie?

LONGUEPEE Daniel Par Le 20/09/2012 0

Qui n'a pas entendu parler du choc pétrolier de 1973 (multiplication par 4 du prix du pétrole) marquant la fin des "30 Glorieuses" ? Un choc, par définition, est quelque chose d'inattendu, voire de brutal. On a pu parler ainsi de la stratégie de thérapie de choc pour qualifier les politiques libérales de privatisations et de désengagement de l'Etat dans les ex-pays socialistes. Il s'agissait alors de passer très rapidement (instantanément?) d'une économie planifiée à une économie de marché. D'un point de vue plus général, la notion de choc sert à modéliser les perturbations qui peuvent affecter le sacro-saint point d'équilibre entre l'offre et la demande sur les différents marchés mais aussi d'interpréter les fluctuations qui traversent l'activité économique. C'est ce dernier versant qui nous intéressera ici. Deux types de chocs vont pouvoir exister, les uns affectant la demande, les autres l'offre. Classiquement les chocs d'offre renvoient à ce qui touche aux conditions de production : productivité du travail et coûts de production. Les chocs de demande touchent à l'ensemble des composantes de la demande globale (on quitte ici la sphère d'un marché particulier pour atteindre toute l'économie) que l'on peut décrire dans l'équilibre emplois-ressources : dPIB = dC + dI + dStocks + d(X-M).

Mais les choses ne sont rarement aussi simples qu'elles y paraissent. Ainsi où situer un investissement de rationalisation (une machine plus performante) qui permet d'accroître (soudainement) la productivité de l'entreprise? Le choc d'offre passe ici nécessairement par l'investissement donc par une composante "demande". Par ailleurs s'agit-il d'un "choc" ou d'une diffusion progressive d'une méthode de production à l'ensemble de l'économie, éventuellement à travers un processus d'erreurs et d'essais s'inscrivant forcément dans la durée? Les chocs pétroliers, évoqués plus haut, relèvent-ils pour leur part de chocs d'offre ou de chocs de demande? Ils perturbent négativement, et les conditions de production en alourdissant le coût des consommations intermédiaires des entreprises, et le pouvoir d'achat des ménages qui devront soit diminuer les autres postes budgétaires (puisque celui consacré à l'énergie comme le carburant ou le fioul augmente), soit puiser dans leur épargne. A titre d'illustration le dictionnaire d'Economie et de sciences sociales de Nathan ainsi que le manuel de Terminale ES - Bordas les considèrent comme des chocs d'offre. Par contre le manuel Hachette en fait un exemple de choc de demande, du moins en tant que source d'une augmentation du prix de l'énergie affectant le pouvoir d'achat des ménages. La synthèse de ce manuel ajoute que la demande joue de toute façon un rôle essentiel et que "quelle que soit la nature du choc (de demande ou d'offre), il transite nécessairement par la demande". Mais ne pouvons-nous considérer aussi que "l'offre crée sa propre demande", par exemple la généralisation du portable, objet qui n'existait il y a 20 ans ? De la même façon, le rôle du crédit dans le cadre de ce qu'on appelle le cycle du crédit a des effets sur la demande (crédits aux consommateurs) ainsi que sur l'offre (financement des investissements des enteprises). Il est de toute façon difficile de trancher, ce que confirme une lecture en terme de croissance potentielle.

La notion de croissance potentielle est utilisée pour l'analyse de la conjoncture et des politiques économiques à mener. Si l'on mesure la croissance économique par le PIB, on obtient la définition suivante : "Le PIB potentiel fait référence à un sentier de croissance de long terme que l'économie devrait suivre en l'absence de chocs exogènes et de tensions" (T. Jobert, X. Timbeau : L'Analyse de la conjoncture, La découverte). En effet les éléments jouant sur la croissance potentielle sont généralement considérés comme des facteurs d'offre : productivité, coût relatif du travail, démographie et taux d'emploi, alors qu'en face, la croissance effective est liée aux aléas conjoncturels de la demande globale. Soit on considère que la croissance potentielle est structurelle et que la croissance réelle tend en moyenne à la rejoindre à long terme. On considère alors et il s'agit d'une hypothèse importante que la croissance potentielle est insensible aux aléas conjoncturels (cf. L'analyse de la conjoncture, de T. Jobert et X. Timbeau). Soit on considère, au contraire, que la croissance effective influence la trajectoire de la croissance potentielle à travers les effets des variations de la demande sur l'offre. Par exemple une faiblesse durable de l'investissement déprime la demande mais au-delà entame le capital humain, l'innovation et donc les chances de croissance future potentielle. Difficile de dire donc quel est l'effet déterminant : l'offre ou la demande?

De toute façon, il semble que la notion de choc repose sur un biais idéologique lui interdisant une stabilité conceptuelle. Comme le défend B. Guerrien dans son Dictionnaire d'analyse économique, le notion de choc n'est pas neutre, comme c'est souvent le cas d'ailleurs en sciences économiques et sociales. Elle apparaît en effet dans les analyses qui considèrent que les agents économiques sont forcément rationnels, qu'ils connaissent en moyenne le modèle de l'économie et qu'ils ne peuvent être trompés que par des événements intempestifs, soit exactement ce que signifient des "chocs". Ces derniers ne peuvent donc venir de la sphère économique elle-même, ils sont exogènes. D'ailleurs le dictionnaire Nathan évoqué précédemment, les définit comme des "impulsions exogènes dont la propagation perturbe l'activité économique générant des fluctuations et dont la répétition engendre des fluctuations à caractère cyclique". Mais si on considère que les marchés sont intrinséquement instables, alors la notion de choc n'a plus vraiment de sens. C'est ce que tentent de montrer les approches en termes de cycles endogènes dont l'oscillateur de Samuelson (multiplicateur + accélérateur) constitue une bonne illustration. Est-ce alors la notion de choc d'offre exogène qui est impropre? Il est encore loisible de penser que les dépenses de recherche et développement dont le but est de générer des profits (cf. croissance endogène) peuvent créer des chocs d'offre du fait de l'imprévisibilité de la recherche.

Toujours dans le cadre d'une remise en perspective de la notion de choc en économie, il faut s'interroger sur leur caractère propre : Sont-ils bons ou mauvais pour l'économie? Comment interpréter par exemple la hausse du prix des matières premières ? Fléau pour les pays industrialisés et/ou à forte croissance? Mais n'est-ce pas leur faire prendre conscience de la rarefaction de certains produits et donc les inciter à s'adapter par l'innovation énergétique par exemple? Bienfait pour les pays producteurs de matières premières? Tout dépend en fait de l'utilisation qui est faite du surcroît de recettes. S'il favorise une élite portée sur la consommation de luxe, le risque est grand de voir les importations augmenter ce qui dégradera le solde extérieur ! Dans ce registre il importe de surcroît de distinguer entre chocs symétriques et chocs asymétriques. Des chocs symétriques agissent dans la même direction ou touchent les pays concernés de la même façon. A l'inverse les chocs asymétriques ont des effets contraires. Cela peut être grave dans un monde d'interdépendances. Ainsi les pays composant l'Union euroépenne peuvent encaisser différement des modifications dans les variables économiques. Par exemple l'appréciation de l'euro favorise les économies à compétitivité hors-prix comme l'Allemagne mais défavorise les pays à compétitivité-prix. Un euro surévalué pénalise à n'en pas douter un pays comme la Grèce qui mise en partie sur ses recettes touristiques. Cela questionne en tout cas la pertinence d'une politique commune au niveau européen pour des pays qui sont encore trop disparâtes. A cet égard on peut se demander à quel genre de choc serait associée la sortie d'un ou de plusieurs pays de la zone euro, si ce n'est de l'Union européenne elle-même?

Au final si on ressent bien l'utilité de la notion de choc de par les dimensions multiples auxquelles elle renvoie, on ne peut que s'interroger sur sa stabilité conceptuelle. Que cherche-t-elle à montrer en l'utilisant ? Faut-il encore la conserver dans le cadre d'un enseignement au lycée sans mise en garde particulière de surcroît impossible à effectuer vue l'étendue avérée du programme de SES en Terminale ?    

 

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