Le libéralisme peut-il se définir comme un système de droits légitimes ?

LONGUEPEE Daniel Par Le 14/04/2010 1

Dans l'ordre libéral

Je ne saurais dire que du bien de l'émission "Du grain à moudre " sur France culture. Le thème du jeudi 1er avril fut consacrée à l'après capitalisme et aux raisons de la crise actuelle. Parmi les intervenants, Pascal Salin a une fois de plus ressortis les vieilles ficelles de la rhétorique libérale. Selon lui par exemple le capitalisme se définit comme une économie fondée sur des droits de propriété légitimes. Mais une telle définition est bien trop large pour servir de guide. Elle permet de réfléchir à la manière dont les individus doivent composer avec des ressources rares et dans ce cas un régime de propriété est nécessaire pour allouer des droits aux individus. Mais elle ne permet pas de caractériser "le" capitalisme. Elle évacue les questions pourtant centrales du profit, des positions dominantes et des rapports de force. La notion de légitimité, bien qu'importante, ne dit encore rien sur le contenu précis du régime de propriété. Ce qui est légitime pour une société peut ne pas l'être pour une autre. On comprend que la définition proposée par P. Salin reste finalement assez neutre et muette sur le fond du problème qui est en fait la justification de la propriété privée sur toutes les ressources. D'ailleurs, et c'est l'argumentation libérale basique, la gestion des ressources est la plus efficace lorsque règne un régime de propriété privée. Dans ce cas, les propriétaires sont incités à valoriser les ressources sur lesquelles ils ont les droits. Si certaines ressources naturelles disparaissent, c'est uniquement parce qu'elles ne font pas l'objet d'un droit de propriété privée. C'est la propriété publique ou commune des ressources qui occasionnent des gaspillages. De là le discours de Salin sur le capitalisme comme solution à la crise. Mais le passage propriété commune/propriété privée ne va pas de soi. Il implique au minimum des effets redistributifs dont il faut tenir compte.

Toute la difficulté tient ensuite à tenir ensemble la nécessité de droits légitimes avec le disours libéral sur la supression de l'Etat. Comme il est rappelé, non sans ironie dans l'émission, le libéralisme est constituée de plusieurs chapelles. Et Salin se positionne ouvertement dans la perspective autrichienne issue de Hayek. Déjà à ce stade, Stéphane Longuet (Hayek et l'école autrichienne, CIRCA) a montré qu'il n'y avait pas d'unité au sein de l'Ecole autrichienne, voir mêmes des divergences profondes. De plus il existe aussi des auteurs, notamment au sein de l'économie néo-institutionnelle, qui admettent la nécessaire intervention de l'Etat pour garantir les droits de propriété. L'Histoire de la pensée économique est riche d'enseignement sur les conditions des droits légitimes. Appuyons-nous, au minimum, sur deux auteurs français : Léon Walras (1834-1910) et Jacques Rueff (1896-1978). Certes ces derniers s'inscrivent dans un libéralisme un peu particulier, disons le libéralisme rationnel "à la française" où le marché suppose des règles qui ne viennent pas spontanément. Ainsi dans une tradition libérale plus anglo-américaine, les règles de droit ont pour origine les règles du commerce (respect des contrats, ostracisme en cas d'infraction, etc.) et n'ont pas besoin d'être "étatisées". Elles émergent spontanément à partir des pratiques des acteurs non sans parfois conduire à des impasses, comme le souligne Hayek lui-même, nécessitant une intervention du législateur pour suppléer au juge. Il est vrai que dans ce cas, c'est le common law qui sert de référence. On comprend que des auteurs français disposent d'autres sources d'inspiration. C'est très clair pour Rueff qui s'appuie expressément sur l'article 544 du Code civil pour montrer que le droit de disposition qu'il consacre implique un marché concurrentiel. De même pour Walras seul un marché concurrentiel permet un échange ne contredisant pas la répartition de la richesse fondée en droit naturel. Le salariat est juste pour Walras car il proportionne les rémunérations aux mérites individuels. Toutefois pour en arriver là, il faut un Etat fort, guidé par une rationalité supérieure et instituant les règles nécessaires au fonctionnement du marché. Cette idée de fond est partagée à la fois par Walras et Rueff, ce dernier ayant été un grand commis de l'Etat, inspirant au passage, la politique économique du général De Gaulle. Un marché concurrentiel implique qu'aucune entreprise ne dispose d'un pouvoir quelconque à la fois sur les consommateurs mais aussi sur les salariés. Walras s'en prend par exemple aux entreprises qui allongent la durée du travail pour accroître leurs bénéfices. Aussi préconise-t-il l'intervention d'inspecteurs. Rueff va évoluer sur la question des rigidités. S'il fustige dans un premier temps le rôle des allocations chômage, dans un article qui le consacrera pour longtemps comme libéral orthodoxe, il finira par admettre les aspects positifs du salaire minimum et défendra une conception social-démocrate du travail.

Par conséquent avoir des droits ne signifie pas donner tous les pouvoirs aux propriétaires même dans la limites du respect du droits des autres. L'Etat dispose d'un domaine réservé ou au minimum les pouvoirs publics. Bien entendu tout n'est pas faux dans le raisonnement de Salin. Concernant le déclenchement de la crise, à travers les subprimes, il est évident ques les autorités ont incité les banques à prêter aux ménages pauvres pour compenser la perte de pouvoir d'achat de ces derniers. Or comme on dit souvent, on ne peut vivre indéfiniment à crédit. Mais lorsque Salin prétend qu'il faut laisser les grands établissements faire faillite s'ils ont été imprudents, croit-il vraiment qu'on peut dire aux clients de la banque que leurs avoirs seront tout bonnement soldés. Nous touchons ici à la spécificité des banques dans le système capitaliste. Elles sont en parties des organismes publics. Elles sont au coeur des paniques financières et des prophéties auto-réalisatrices. Ce sont d'ailleurs les crises financières qui nous font comprendre pourquoi on parle de monnaie fiduciaire-monnaie en laquelle on a confiance. Que la confiance disparaisse, et c'est tout le système qui s'effondre. Alors certes Salin pourra rétorquer qu'un système de banques privés sans banque centrale a existé aux Etats-Unis avant la crise de 1929, et que les titulaires de comptes bancaires prennent des risques en déposant simplement leurs avoirs (salaire, épargne) dans leur banque. La discipline marchande doit aussi s'imposer à eux. Et c'est bien là tout l'enjeu : A quel niveau de protection minimal peut prétendre chacun d'entre nous dans la sphère économique et si une telle protection a droit de citer? La réponse déborde le champ de l'économie pour atteindre celui de la philosophie. On peut considérer que vivre c'est en soi prendre des risques et qu'aucune protection ne peut être garantie. La vie impose d'être constamment sur ses gardes et de faire des choix irréversibles qui pourront se révéler mauvais. En ce sens la discipline marchande est le prolongement logique de la discipline qu'impose la vie elle-même. Ne sommes-nous pas dans ces conditions ramené au darwinisme social?

 

 

Commentaires

  • G

    1 G Le 14/05/2010

    Ravi de voir que vous vous êtes lancé dans le véritable service public Herr Pourpre. Toujours très intéressant, vous aurez en tout cas au moins un lecteur assidu.

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