Sciences politiques

Trame 4 - L'engagement politique

Par Le 15/12/2023

1° L’engagement politique, CAD le fait, pour un individu, de prendre parti sur des problèmes politiques par son action ou ses discours, peut prendre différentes formes. Elle ne résume pas au vote, ni même à l’adhésion à un parti politique. Ainsi on peut militer pour une cause sans être dans un parti politique. On le fera plus probablement dans le cadre d’une association, définissant alors un engagement associatif. Mais un citoyen attaché à certaines valeurs peut agir à travers une consommation engagée.  

2° Si le vote constitue une forme d’engagement politique minimal, le simple fait de voter paraît largement réducteur. Il faut quand même s’intéresser aux débats politiques, aux programmes des candidats et nourrir une attente quand au résultat. De manière plus contradictoire, ne pas aller voter n'est forcément un singne de désengagement politque. Il faut savoir distinguer l'abstentionnisme "hors-jeu" et l'abstentionnisme "dans-le-jeu". Ainsi les abstentionniste "dans-le-jeu" se rapporte davantage aux catégories éduquées maîtrisant les enjeux de la sphère politique mais qui ne se retrouvent pas dans l'"offre" politique, les candidats n'attirant pas ou n'étant pas considérés comme "à la hauteur". Cela rejoint d'une certaine manière la logique du "cens caché" développé par D. Gaxie : Les classes populaires démunies se sentant éloignées des enjeux politiques, par manque de connaissances ou de culture, ne vont plus voter comme si elles ne s'étaient pas acquittées du cens, symbole des années d'études sacralisant un capital culturel et permettant de dominer l'espace social et de comprendre les enjeux politiques.   

3° Au-delà du vote, il y a le militantisme, dans un parti politique, évidemment. Cela passe par la participation aux réunions, à la distribution de tracts, au collage d’affiches, à la participation à des meetings et pourquoi pas à leur organisation. Mais le militantisme peut aussi passer par des associations ou des syndicats. Il existe en effet des associations à connotation politique forte comme Greenpeace ou DAL (droit au logement), contrairement à des associations sportives ou de loisirs. Il est de ce fait parfois difficile de distinguer « militantisme » et « engagement associatif ». Sans doute le militant se distingue-t-il par ses actions concrètes du simple adhérent à un parti ou une quelconque association. Mais un adhérent à Greenpeace risque fort de militer pour défendre sa cause. Si les actions menées dans le cadre de partis, de syndicats ou d’associations sont généralement collectives il n’en va pas de même pour la consommation engagée. Que ce soit sous forme de boycott ou de buycott, le citoyen agit seul, même si des associations sont engagées dans des formes alternatives de consommation.

4° Une fois mis en évidence les formes de l'engagement politique, il peut être intéressant d'en souligner les conditions socio-économiques. Globalement notons que l'engagement économique concerne des hommes, âgés et cadres. Cela ne veut pas dire que les jeunes se désintéressent de la politique. Ils s'engagent davantage dans des formes alternatives au vote (manifestations, vote). De même les femmes sont moins syndiquées et adhèrent à des associations davantage tournées vers le « social ». Enfin les cadres sont surreprésentés dans l'engagement car ils disposent notamment d'un capital culturel et sont habitués à prendre des initiatives et à « mener » des équipes. 

5° Une fois que l'on sait qui a tendance à s'engager, il faut soulever le paradoxe de l'action collective mis en évidence par M. Olson. Étant donnée que l'action collective est coûteuse, en temps et en argent, et que ses bénéfices sont indivisibles (chacun en profite), il est rationnel de se comporter en passager clandestin (free rider) et laisser les autres participer et supporter les coûts alors même que l'action est profitable pour tous.

6° Malgré le paradoxe de l'action collective, des actions à plusieurs pour défendre un intérêt commun sont quand même mises en œuvre. Comment l'expliquer ? A travers 3 raisons. D'abord les rétributions symboliques comme la satisfaction du devoir accompli, le plaisir de « lutter » ensemble, de se faire de nouveaux amis, les gains en notoriété lorsqu'on est membre d'un syndicat ou d'une association, … Ensuite il y a les incitations sélectives qui vont récompenser ou pénaliser les individus, ceux qui participent en leur réservant des avantages ou les gains de l'action. Enfin certaines conditions (structures) politiques constituent des opportunités pour l'engagement comme les régimes démocratiques, des gouvernements peu répressifs, …

7° Une fois que l'on sait que le paradoxe de l'action collective peut être surmonté, reste à voir comment évoluent dans l'histoire les objets, les acteurs et les répertoires de l'actions collective. Il existe en fait et depuis longtemps une multitude de raisons d'agir collectivement et il n'est pas toujours évident de séparer les objets de l'action de leurs acteurs et de leurs répertoires. Tentons quand même l'exercice.

8° Concernant les objets de l'action collective il est d'usage de distinguer les conflits du travail portant sur des revendications matérialistes (des hausses de salaires, de meilleurs conditions de travail) des nouveaux mouvements sociaux portant sur des revendications post-matérialistes. Comme le souligne R. Inglehart, et en accord avec la pyramide de Maslow, des sociétés de plus en plus développées et éduquées, s'attachent davantage à des revendications post-matérialistes ce qui laisse à penser que les NMS se substituent petit à petit aux conflits du travail. Une telle lecture est d'autant plus intéressante qu'elle suggère qu'une lecture marxiste du changement historique (de l'engagement politique) n'est plus pertinente et que le mouvement ouvrier n'est finalement plus à la pointe du chnagement social à travers la lutte de classes. Il est certain que depuis l'Après seconde guerre mondiale, les grèves ont tendance à diminuer, et ce malgré le changement de mode de comptabilisation après 1995. Constat renforcé par la crise du syndicalisme s'expliquant notamment par la tertiarisation (la désindustrialisation, même relative), l'institutionnalisation des syndicats (ils ont été „achetés“ par le pouvoir diront certains). Et pourtant il faut se méfier d'une lecture trop radicale en termes d'évolution vers les NMS. Déjà les conflits du travail n'ont jamais été exclusifs. Pensons au mouvement des suffragettes en Grande-Bretagne début 20ème siècle. Ensuite des mouvements portant sur des valeurs comme le mouvement des droits civils afro-américains contiennent aussi des revendications matérialistes comme „des logements décents“. Enfin la diversification des répertoires propre aux NMS va aussi toucher les mouvements plus traditionnels liés au travail.

9° Concernant pour finir les acteurs et les répertoires, il y a des liens avec les types de revendications (d'objets). Par exemple on ne fait pas grève pour défendre les sans-abris ou la cause femmes (qu'y a-t-il encore à défendre ?). Des manifestations ou des pétitions seront ici appropriées. Autrement les réseaux sociaux permettent des formes temporaires et imprévisibles d'action (manifestations, sit-in). D'une manière générale les Français continuent de penser que le vote est le meilleur moyen de changer les choses au niveau du pays. Si ces modes d'action et d'engagement politique font encore parti des répertoires légaux, il existe aussi des actions illégales qui ont eu tendance à se développer. On pense récemment aux agissements de membres de l'association Soulèvements de la terre, s'attaquant aux forces de l'ordre protégeant un mégabassine, aux pratiques des black blocs „pourrissant“ des manifestations non violentes ou encore à certaines actions des Femen. Les occupations sont aussi généralement illégales comme les ZAD (zones à défendre). Notons aussi que plus les actions sont spectaculaires et plus elles ont de chance d'être véhiculées par les médias. On pense en particulier au préservatif géant placé sur l'obélisque de la Concorde par l'association Act-up à l'occasion d'un journée de lutte contre le Sida en 1993.

10° Les acteurs se sont parallèlement diversifiés puisque les syndicats et les partis politiques sont en perte de vitesse ou peu considérés. En plus de ceux déjà évoqués, citons pêle-mêle les luttes minoritaires avec l'exemple du mouvement Black lives matter, les mouvements altermondialistes comme Attac ou la Confédération paysanne, les groupements comme les black blocs.

Houellebecq, la religion et l'écologie

Par Le 01/04/2022

Il est des coïncidences malheureuses, voire macabres. Il a été suffisamment noté que le jour de l'attentat contre Charlie Hebdo a correspondu à la sortie du dernier opus de Michel Houellebecq imaginant (prophétisant?) l'arrivée au pouvoir d'un certain Ben Abbès, chef du parti des Frères mulsulmans. L'histoire avait de quoi amuser éventuellement intriguer, elle trouve désormais de quoi inquiéter. A la lecture, c'est moins le parallèle entre les événements qui doit alerter les consciences, que l'essence même de la trame. Loin de critiquer l'Islam, le roman présente au contraire cette religion comme le dernier vecteur d'ordre dans un Occident en décomposition à côté de la réaction frontiste. On y voit par exemple des fonds saoudiens mettant fin à la prostitution financière de la Sorbonne, la langue française retrouver de sa vigueur, le chômage et la délinquance en voie d'éradication, ... Même les pulsions sexuelles, mobiles puissants des héros houellebecquiens, s'amoindrissent avec l'habitude de côtoyer des femmes en patalons et voilées. Evidemment cela a de quoi faire peur mais les récits spécualtifs ont justement le mérite de faire réfléchir. Quel degré de probabilité pour tel ou tel événement, tel ou tel choix? C'est toujours a partir d'un réel inscrit dans les contingences historiques que l'auteur imagine ce qui pourrait advenir. Les fils invisibles qu'il tisse relève toujours d'un champ des probables. Certes personne ne croit à un F. Bayrou premier ministre en 2022, mais il faut lire : "croire à un homme du consensus, qui ne crache pas sur l'importance de la foi, ...". De même l'éventualité d'une alliance UMP-PS-Frères musulmans pour barrer la route au Front National paraît peu probable, mais pas ... impossible. De ce point de vue, évidemment, on peut toujours prétendre que tout est imaginable mais le roman tient quand même la route et jusqu'au bout on peut demeurer intrigué et vouloir connaître l'issue ultime. En fait malgré les atternoiements relativement limités quand même du héros, tout fini bien, trop bien peut-être. Lorsqu'on suit l'histoire bien malheureuse du personnage principal, maître de conférences, sans épaisseur relationnelle et existentielle, ayant pensé au suicide, bref sans ce qui fait de la majorité des être humains des êtres sociaux—leimotiv des personnages houellebecquiens—on comprend que la dernière phrase du roman puisse être : "Je n'aurai rien à regretter". Le héros finit par se convertir à l'Islam, avec son rite de passage particulièrement bénin au demeurant, et à accepter les compromissions qu'implique le nouvel ordre religieux. Les choses se font presque naturellement. Il y a peu de tergiversations, peu de calculs politiciens, peu de réflexion sur l'avenir à long terme de la France, sur le contexte politico-financier et social. De toute façon le nouveau président a la trempe d'un Richelieu ou d'un Napoleon, c'est un batisseur d'empire. Le pays trouve par des voies détournées ce qu'il cherche justement depuis longtemps : le grand Homme qui saura le guider, l'Homme providentiel. Et puis, entre nous, aller vers le Troisième Empire, risquerait de poser des problèmes de traduction en langue allemande ... alors pourquoi ne pas s'en remettre à une ... troisième voie? C'est la raison psychologique qui l'emporte dans l'enchaînement des événements. Le héros parvient à faire de sa vie deux périodes distinctes, côte à côte, et exclusives l'une de l'autre, comme son père y était parvenu par son remariage.

Mais les coïncidences ne s'arrêtent pas là. Car pendant ce temps, le magazine Capital s'interrogeait, dans son numéro de janvier, sur les pays capables de relancer leur croissance, et surtout Marc Touati nous pondait un tout nouveau livre sur la nécessité d'une thérapie de choc en France. Heureusement qu'on a manifesté pour la liberté d'expression, il aurait été vraiment dommage que les conseillers financiers qui avaient prédit à l'hiver 2007, quelque mois après le déclenchement de la crise des subprimes, une remontée rapide du CAC 40 pour 2008, soient interdit de pouvoir encore s'exprimer sur la bonne politique à mener dans ce pays. A quand le retour d'un Etat qui ne sera plus le complice de cette impardonnable complaisance collective qui a élevé au rang d'élite nationale, voire mondiale, toute une clique d'experts et de financiers, à l'utilité douteuse, à la nuisance certaine. On rêve d'un président qui osera dire, un jour, dans un meeting parisien, harangué par une foule de sympathisans, que le véritable ennemi, c'est la finance ... Il y en a qui jouent leur bonus, d'autres leur vie, avec pour champ de bataille la France, dont on finit par se convaincre qu'elle n'appartient plus aux premiers. Touati et les experts nous promettent en tout cas des réformes, toujours des réformes, pour produire plus, pour produire mieux. Mais il faut être sérieux au moins une fois dans sa vie. Il ne faut pas chercher la croissance, il faut la fuire. Il faut bien comprendre que la question du chômage ne peut plus être résolue et qu'elle n'a plus à l'être. Il faut passer à autre chose. Alors qu'Olivier Marchand pouvait encore titrer un ouvrage en 2002 : Plein emploi, l'improbable retour, il semble bien que plus de 10 ans après, le pourcentage de probabilité soit tombée à 0. Depuis longtemps on le sait, l'enjeu est distributif, il faut réfléchir aux limites, à la redistribution.

Et c'est précisément sur cet enjeu crucial que l'on retrouve le roman de Houellebecq. Les solutions ne sont pas infinies. Notre entendement ne peut pour l'instant en concevoir que deux : l'écologie et la religion. Dans les deux cas c'est d'un retour aux normes dont il s'agit. Les deux ont ceci de bon qu'elles imposent une discipline à un moment où la République a du mal à distiller une morale laïque, ou en tout cas sa propre morale. Le risque d'autoritarisme n'est jamais à écarter en matière écologique avec les défenseurs de la deep ecology et de ce que certains ont nommé l'écolo-fascisme. En hypothétisant sur une victoire des frères musulmans en France, Houellebecq mise en fait sur la religion plutôt que sur l'écologie, voilà le sens profond de son roman. D'où le passage sur le distributivisme. C'est la répartition plus que la production qui constitue l'enjeu économique du moment. Les premiers économistes, classiques puis néoclassiques ne s'y étaient pas trompés qui inscrivaient au coeur de leur démarche la question des conflits et de distribution de la richesse. Mais peut-être faut-il regarder avec G. Arrighi aux "promesses de la voie chinoise", qui aurait misée, depuis l'origine sur un capitalisme redistributif plutôt que productif? Cependant le régime chinois, tout comme un régime islamique, peuvent-ils sérieusement faire rêver? 

 

La politique une fois de plus impuissante ?

Par Le 01/04/2022

On peut logiquement imaginer que le citoyen américain qui a voté pour Donald Trump souhaite voir sa politique appliquée. Le problème c'est qu'en nombre de votants effectifs cela représente environ un quart de la population, c'est peu, et cela doit immanquablement conduire à des aménagements. Le constat aurait été le même à 200 000 voix près pour Hilary Clinton. Cela fait déjà un écart par rapport aux espérances nourries durant la compagne. Mais plus gravement le candidat anti-système risque de se heurter à la logique même du système c'est-à-dire au principe de réalité de l'économie capitaliste. C'est ce que montre justement André Cartapanis dans un papier intitulé "Et si la finance sauvait les Etats-Unis de Donald Trump". L'incertitude à long terme de la politique économique de Trump (augmentation des droits de douane et risque probables de mesures de rétorsion, dépenses d'infrastructures et militaires, baisse de la fiscalité) provoquera une défiance des investisseurs qui exigeront une prime de risque plus forte et donc un accroissement des taux d'intérêt qui aboutira à remettre en cause la croissance économique. Trump devra alors reculer, et Cartapanis de conclure presque fièrement : "Face à la panique des marchés, Donald Trump devra alors abandonner la plupart des engagements qui lui ont permis d'être élu. La finance et les marchés boursiers auront alors sauvés l'Amérique de Donald Trump". Voilà un bel optimisme d'économiste qui de surcroît croît parler au nom du peuple et mieux savoir que lui ce qu'il faut faire. Il s'agit de "sauver l'Amérique" et, on le devine, le monde entier. De nombreuses émissions ont aussi véhiculé des thèmes du type "Trump est un milliardaire, c'est un capitaliste, il ne prendra donc pas des décisions contraires au monde des affaires", "il sera pragmatique", et ses premiers discours vont dans ce sens, il aurait déjà revu la baisse son intention de détruire l'Obama care qui, soit dit au passage, n'est pas d'une grande limpidité pratique. Effet d'anonce ? A suivre.

On voit bien en tout cas que la conduite des affaires courantes dans un univers particulier impose des décisions et limite le champ des possibles. Voilà qui doit faire froid dans le dos plutôt que rassurer. Même un candidat qualifié de populiste, voire de démagogue, il faudra s'entendre sur ces termes, ne peut rien faire et peut-être même parce qu'une fois au pouvoir sera impuissant ne peut-être que démagogue durant une campagne présidentielle. Le populisme est la conséquence du pouvoir de l'économie. Les partisans de D. Trump auraient peut-être secrètement souhaités un effondrement des marchés financiers. Il n'en a rien été, justifiant ainsi le schéma de Cartapanis. Un chef d'Etat pourra t-il alors prendre le risque de changer ouvertement de système ? En l'espèce il n'est pas certain que ce soit le voeu profond de l'Américain moyen. Pierre Gattaz pourrait alors prêcher aux Etats-Unis comme en France la bonne parole, "allez donc en Corée du Nord si vous ne voulez pas jouer dans la cours des grands" ! D'ailleurs Cartapanis le précise, seule la mise en place d'un "gossplan yankee" permettrait à Trumps de réaliser ses promesses ...

Chroniques macroniennes (II)

Par Le 01/04/2022

La victoire d'Emmanuel Macron a constitué au fond une surprise attendue. Alain Badiou a évoqué quand à lui un coup d'Etat démocratique. Nous ne pouvons que rivaliser d'oxymores avec ce nouveau président. C'est déjà peut-être un point positif. Les intellectuels aiment la complexité, les ambiguités. C'est leur fonds de commerce. Ils gagnent leur vie, en tentant de démêler le cafarnum de la quotidienneté. Avec Macron, il y a de quoi être servi. Merci mon prince. Le problème en tout cas avec ce positionnement oxymorique c'est qu'il induit un procès en complotisme. La vérité est ailleurs. Ce n'est pas un hasard si l'expression "en vérité" apparaît souvent dans les propos de la leader du Front national. Il faut distiller l'idée que sous des apparences de gendre idéal, Macron cherche à abaisser la culture française, un savoir vivre et un savoir penser populaires devenus ringards auprès des élites mondialisées. Un tel point de vue en termes de démission des élites remonte au moins, et pour le cas américain, au brillant penseur, Christopher Lasch. Malgré le caractère plausible d'une telle argumentation il ne faut pas oublier non plus qu'elle opère comme n'importe quelle autre un effet d'imposition. Il s'agit toujours de faire croire à quelque chose, d'en appeler au sens commun, aux croyances, bref à l'indicible, plus rarement à la raison mais que peut-elle ?

De quel droit évoquer ses impressions sur le monde politique ? Qu'est-ce qu'un petit professeur égaré peut bien apporter de plus sur un monde politique ultra scruté et ultra commenté ? Chacun y va de son petit commentaire, de sa petite phrase. Mais justement est-on plus fin analyste en étant journaliste de plateau télévision ? Tout le monde sait que l'information pure n'existe pas,que la réalité est toujours une scène à filmer parmi d'autres. Celà nous le savons au moins depuis Pierre Bourdieu. Et puis il y a aussi l'autre côté de la scène, ce cerveau qui observe et qui n'est à l'évidence pas un simple receptable. Les messages sont interprétés, il y a une barrière idéologique qui filtre les données. Non décidément personne ne peut s'arroger en la matière de droits particuliers. L'exemple récent de Julien Rochedy est instructif. Son parcours politique est bien connu mais le reportage qu'il nous a livré de Damas dans le contexte actuel de guerre ne peut laisser indifférent. Nous pouvons y voir des femmes libres, exerçant des activités diverses et choisies. Il faut vraiment faire un effort pour croire qu'il y a la guerre a proximité. La hantise de ces femmes, d'ailleurs, c'est la victoire de l'obscurantisme religieux. A ma décharge, j'ai visionné ce reportage au même moment où des femmes manifestaient dans Paris au quartier Pujol pour retrouver le droit de ... circuler librement dans la rue ! Saisissant et inquiétant contraste. Comment articuler alors ces deux informations qui n'en sont peut-être pas ? Qu'est-ce que le réel, au fond ? Au mieux pouvons nous espérer une certaine cohérence interne du raisonnement lorsque nous l'analysons, un principe de non contradiction, en faisant abstraction des changements d'opinions qui ne peuvent manquer d'advenir sur une période suffisament longue ou mouvementée.

Deux événements m'ont particulièrement saisi ces temps-ci. D'abord la démission du général De Villiers et l'indigence de ce qui s'appelle en France l'opposition. Celle-ci a retrouvé ses réflexes basiques alors même qu'il est admis que la politique ne serait plus comme avant. La séquence a été la suivante, du moins de ce que j'en sais : audition programmée du chef d'Etat major auprès d'une commission parlementaire – propos qui ont fuité (pourquoi ?) - énervement du président de la République, rappel à l'ordre et à la Constitution : Le président est le chef des armées – démission du chef d'Etat major, événement rarissime. Devons-nous toutefois parler d'humiliation en ce qui concerne ce général ? Le chef de l'Etat n'est-il pas  effectivement le chef des armées ? Mais en le rappelant haut et fort, il aurait dévoilé une évidence masquant justement un manque d'autorité. Nous avons eu le sentiment en tout cas que l'opposition guettait le moindre faux-pas pour en faire une affaire d'Etat. C'est le jeu de l'arène politique dira t-on. Mais justement les Français n'ont ils pas fait savoir qu'ils n'en pouvaient plus de cette soupe nauséabonde et que cela donnait même sens au récent et incroyable parcours de Macron ? Il ne faut pas se tromper de front. Certes la présentation en termes de dépassement du clivage droite/gauche initié par le candidat Macron a vraisemblablement été hypocrite, en ce sens qu'il a répondu à une attente, vérifiée d'ailleurs, des Français. Mais de là à retomber dans les travers les plus détestables de ce clivage ... Certes les questions de défense ne sont pas à prendre à la légère et comme le prétend justement Jean-Luc Mélenchon, les dépenses doivent succéder à l'urgence des missions et non constituer une variable d'ajustement. S'il faut dépenser de l'argent pour la défense alors il faut le faire. Mais faut-il pour autant s'interdire de penser le ratio d'encadrement qui paraît problématique, tout comme en Grande-Bretagne d'ailleurs ? Que penser de ce que l'on appelle la deuxième section, composée de généraux à disposition du ministère de la défense mais qui ne sont pas en activité et disposent encore d'avantages substanciels ? De celà, il est vrai, il n'a pas été question. Voilà pour le premier fait que nous voulions évoquer.

Ensuite il y a eu ce qui a été présenté comme un cafouillage à l'Assemblée nationale dans la nuit du 25. Certes les images montrent une président de séance visiblement dépassée par les événements qui a besoin d'un costume cravate derrière elle pour lui souffler semble t-il quelques conseils, une chambre très clairsemée, des députés qui se lèvent, contestent, prennent la parole au motif de rappel du règlement. Mais justement, cela a donné à l'Assemblée nationale un air de jeunesse. On se serait cru en 1789 quand les jeunes élus découvraient une vie parlementaire à inventer. Plutôt réjouissant. Mais peut-être est-ce justement trompeur. Derrière ce tableau candide on trouvera tôt ou tard des enarques prêts à remettre ces députés dans le droit chemin. Pour le cacher, il fallait laisser croire à un cafouillage révélateur d'une autonomie et d'une auto-organisation de l'Assemblée nationale, ce qu'elle n'est peut-être plus.

 

L'union des droites ou l'union des deux rives ?

Par Le 01/04/2022

Tout le monde est bien conscient qu'une recomposition politique est à l’œuvre depuis la victoire d'Emmanuel Macron. Si l'on s’intéresse à la droite, l'enjeu tourne autour du positionnement vis-à-vis du Front national et réciproquement. C'est vraisemblablement en ce sens qu'il faut lire la stratégie récente du FN. Comme ce parti n'est pas parvenu à regrouper l'ensemble de l'électorat sensible à la souveraineté de la France et qui compose les deux rives du clivage partisan, pour reprendre l'expression de J-P Chevénement, il s'est arrangé pour éjecter celui qui le symbolisait, F. Philippot, et a lancé des appels au futur chef du parti Les Républicains. Ce dernier les a gentiment renvoyé dans les cordes tout comme JL Mélenchon, F Philippot, au sujet d'une alliance d'idées avec Les Patriotes.

                De toute évidence le camp de l'union des droites semble le plus important, du moins pour le moment et médiatiquement. Il peut compter sur un allié de taille dans la personne d'Eric Zemmour. Pour celui-ci il faut abandonner les vestiges de l'UMP et reprendre la tonalité du RPR des années 90 autour d'un programme identitaire unissant le FN lui-même recentré sur ses fondamentaux : l'immigration, la lutte contre le terrorisme, … Le programme économique doit arriver en second. Mais il est sans doute hâtif de penser que les problématiques économiques seront neutralisées une fois l'identité mise sur le devant de la scène. Peut-être les citoyens ne sont-ils pas indifférents au positionnement que prendra un éventuel gouvernement de droite identitaire. Certes on dira que la droite « dure » allemande dispose d'un programme économiquement libéral. Seulement l'exemple récent français montre que le candidat F. Fillon a commencé à perdre des voix en déroulant son programme économique, on pense évidemment au non remboursement des soins mineures qui a fait sortir un H. Guaino de ses gonds. A.  Madelin lui-même, chantre du libéralisme politique dans ce pays, a qualifié les  mesures Fillon de Robin des bois inversé ! « On prend aux pauvres pour donner aux riches ! » Ce n'est peut-être pas un hasard si le candidat Macron proposera un remboursement intégral des prothèses auditives et dentaires ainsi que des montures. On ne joue pas avec la Protection sociale des Français ! 

                Fondamentalement l'affirmation des questions identitaires ne peut manquer de rencontrer celles liées à la souveraineté. Elles sont intimement liées, même si la souveraineté porte un ethos positif et l'identité un ethos négatif. Dans la mesure où les Firmes multinationales, sans parler des monstres GAFAM, se jouent des Etats, la posture identitaire peut difficilement être néo-libérale, de surcroît dans un pays comme la France où l'Etat a historiquement joué un rôle d'impulsion, très souvent bénéfique, du moins quand les élites faisaient encore corps avec la nation. Qui ne se souvient des propos de J-M Le Pen s'attaquant au « mondialisme apatride » et qualifiant l'euro de « monnaie d'occupation » ? Peut-être que l'idéal économique est alors celui d'un libéralisme de petits propriétaires, où les services s'échangent in fine contre des services mais où, à l'équilibre le profit est … nul ! Les économistes reconnaîtront ainsi les soubassements du modèle d'équilibre général. L. Walras, théoricien posthume de la droite identitaire ? De nombreux intellectuels de droite en tout cas ont compris qu'il fallait refonder le corps doctrinal. La publication du nouveau mensuel, L'Incorrect s'inscrit dans cette perspective.  Ce n'est pas un hasard si Marion Maréchal Le Pen ainsi que Charles Millon se retrouvèrent pour le lancement du journal. La stratégie d'unification des droites est donc bien en cours. 

                A l'opposée se situe celle de l'union des deux rives, allant des séguinistes aux chevénementistes, de loin la plus intéressante mais aussi la plus difficile à mettre en œuvre.  Qui dit rive, dit séparation … Dans un article de 2009, « Les difficultés d'implantation d'un parti souverainiste en France (1992-2009) », Emmanuelle Reungoat analysait les difficultés à faire se rejoindre les deux rives. Déjà les partis souverainistes ne seraient pas durables à cause par exemple de la mainmise des grands partis qui font pression pour empêcher les signatures ou les investitures. D’ailleurs C. Pasqua ou P. De Villiers n'avaient pas rompu avec leurs partis d'origine. Ensuite les partis souverainistes manquent fondamentalement de ressources, au moins financières, si ce n'est symboliques. Sur ce point la faiblesse de l'emprise médiatique n'est peut-être plus un obstacle majeur avec le développement d'internet et des réseaux sociaux capables d’organiser des manifestations et conférences bien réelles. Citons au moins le Cercle Aristote animé par P-Y Rougeyron. Enfin Reungoat note l'instabilité des partis souverainistes fait d'alliance, de ralliements et de sous-groupes plus ou moins structurés. Aussi la volonté affichée de rassemblement par les Patriotes sera t-il suffisant ? Est-il possible de construire sur les décombres d'un rêve avorté ? Certains des protagonistes d'antan ne sont plus de ce monde, comme Pasqua ou Séguin et Chevénement a décidé de donner sa chance à Macron. Serait-il passé à côté du très intéressant article de Mathieu Slama dans le Figaro du 24 avril 2017 : « Macron-Le Pen ou le retour fracassant de la lutte des classes » ? Il faut quand même parcourir cet article, écrit, excusez du peu dans Le Figaro et non dans L'Humanité : «  La France de Marine Le Pen ... gronde face à l'incroyable arrogance de cette bourgeoisie qui lui donne des leçons d'humanisme et de progressisme du haut de ses 5000 euros par mois … Malgré son talent indéniable, l'ancien banquier Emmanuel Macron ne révolutionne rien ». Voilà qui annonce ces électeurs « à vomir » d'H. Guaino dans l'entre deux tours des législatives. Ce dernier aurait-il été victime d'une naïveté confondante en oubliant que la bourgeoisie a souvent été prête à trahir ses idées pour son portefeuille ? Slama ira aussi jusqu'à vilipender le régime parlementaire, « régime de tous les compromis qui profitent toujours aux lobbies et aux intérêts privés » et conclut son analyse en prophétisant d'un ton amusé et presque bienveillant : "Et peut-être assistera-t-on, dans un avenir lointain, à une réunion de la France de Le Pen et celle de Mélenchon contre la France des libéraux". La mobilisation conceptuelle de la lutte des classes et au final de Marx ne doit pas surprendre, même dans un journal dit de droite. On trouve des références à Marx aussi bien chez E. Zemmour que chez l'ancien politique Philippe de Villiers. A croire qu'ils se sont passés la référence, celle issue du Manifeste où Marx évoque les fameuses eaux glacées du calcul égoïste. L'article de Slama n'annonce pas en tout cas l'alliance des droites mais bien celle des souverainistes où le programme économique antilibéral coule de source. Mais peut-être force t-il le trait pour installer une option politique que d'aucun pourrait qualifier de dangereuse, si ce n'est de suicidaire. Peut-être souhaite t-il qu'un maximum de personnes s'engouffre dans cette brèche afin de pouvoir compter les cadavres qui en sortiront ? Pierre-Yves Rougeyron en fera t-il parti ? Lui aussi milite pour un grand rapprochement des patriotes au delà des clivages habituels. Pour preuve sa mise en lumière des excès « zemmouriens » à l'encontre de F. Philippot lors de sa venue sur Paris Première il y a quelques semaines. 

                Reste alors la référence au gaullisme ... Mais est-ce suffisant ? Il est certain que De Gaulle est le dernier président, si ce n'est le seul, a avoir maintenu le sentiment que la France avait encore un rôle à jouer dans le monde, qu'elle avait un rang à y tenir, avec ses contraintes aussi. Les Français sentent bien au fond d'eux-mêmes qu'ils sont encore redevables à cette posture de grandeur qui animait le général : « la France ne peut être la France sans la grandeur ». Paroles vaines diront certains. La France avait déjà perdu depuis bien longtemps le leadership mondial. Et pourtant, quel joie de pouvoir encore être fier d'être Français. Quiconque a une part de France en lui ne peut que s'émouvoir et se sentir transporté lorsque, suite à un discours prononcé à Cambrai, le général De Gaulle, invite son auditoire à chanter avec lui l'hymne national. La Marseillaise est alors élevée au rang de chant de résistance et d'unité. Quelle image … D'une certaine manière on la retrouve dans le film Austerlitz d'Abel Gance, lors de la scène finale, lorsque Napoléon se découvre devant ses soldats et demande à ce que l'on joue la Marseillaise. Même émotion. Même sentiment de fierté. Le génie français à portée de main …  Dans un ton beaucoup plus populaire, le film Mais qu'est-ce qu'on a fait au bon dieu ?, ne peut s'empêcher une emblématique et fondatrice référence au général De Gaulle. L'esprit français traverse les temps au delà justement des guerres de religion …

Chroniques macroniennes (VII)

Par Le 01/04/2022

En opposant les nationalistes et leur vision de court terme qui ne règle aucun problème aux progressistes le président Macron enferme le débat dans un contenu pernicieux. Les catégories ne sont pas obsolètes mais tronquées. Certes parler de nationalisme est plutôt vivifiant. Cela nous ramène au temps de Boulanger et de Barrès. Nous ne saurions nous en plaindre. Le président Macron n'ose utiliser le terme de patriote car il sait qu'il s'attirerait les foudres d'une partie étendue de la classe politique, et de gauche et de droite. Le nationalisme, plus personne ne sait ce que cela représente et il est vrai que sous la plume d'un Barrès, il s'agit d'un déterminisme historique marqué du sceau de la grandeur, de la terre et des morts. Est-ce une raison pour l'opposer au progressisme ? Qui sait seulement ce qu'est un progressiste ? Celui qui suit bêtement le courant de pensée du moment ? Qui s'aventure sur un chemin sans en connaître la finalité ? Qui saute sur sa chaise comme un cabri en s'écriant, l'Europe, l'Europe, l'Europe ? Le nationaliste au moins sait où il va. A la manière d'une certaine philosophie, il est libre car il a compris le déterminisme qui le lie à l'Histoire de son pays. Le président Macron confesse alors devant la représentation nationale qu'il se délie du sentier qui doit présider à chacun de ses actes et chacune de ses pensées. C'est le progressiste qui a une courte vision, qui répond aux impulsions du moment, dont le courant est mené, dans un univers capitaliste, par les lois du profit et de la finance. Si le président Macron souhaitait en fait nous dire que nationalisme et capitalisme ne sont pas conciliables, alors point besoin de discours. L'histoire de France et l'histoire de l'Humanité nous servaient déjà de référence.

Prof et soutien des gilets jaunes ?

Par Le 01/04/2022

La situation objective de classe pour reprendre une bonne vieille terminologie marxiste place évidemment les profs dans le camp populaire contre les élites. Certes parmi les membres de gilets jaunes il y a de nombreuses personnes qui sont aux antipodes des canons sociologiques des profs, en termes d'attitude, de langage, de référents culturels. Par ailleurs il est clair que le corps enseignant a constitué un soutien peut-être inconditionnel à E. Macron en 2017, par peur de la peste brune. Mais est-ce suffisant pour définir une ligne politique ? Sûrement pas. Comment les profs pourraient-ils d'ailleurs approuver les suppressions annoncées de postes dans l'enseignement secondaire ? Le ministère ne sait-il donc pas que les classes de seconde sont surchargées, à plus de 30, voire 35 élèves ? Aurait-il oublié que la France ce n'est pas la Corée où les élèves sont au garde à vous et la société vénère son système éducatif ?

D'un point de vue structurel les profs n'ont pas compris que Macron allait défendre les intérêts de l'élite mondialiste qu'une simple carte électorale ne pouvait pourtant manquer de leur signaler. Aveuglé par l 'idéologie ils n'ont pas compris le Brexit ou l'élection de Trump. Certes, ils ne furent pas les seuls. A leur décharge, les catégories statistiques ont aussi eu tendance à les illusionner. La nomenclature des PCS, les intègre dans le camps des cadres et professions intellectuelles supérieures qui peuplent les bancs de l'Assemblée Nationale. Ils peuvent se croire représentés et se penser comme appartenant aux catégories supérieures ou être tout proche d'elles. Il est vrai aussi que leurs enfants intégreront plus facilement que les enfants d'employés ou d'ouvriers les bancs des CPGE et des Grandes Ecoles. Ils peuvent avoir encore un peu d'espoir pour leurs enfants qui ne bénéficieront pas non plus du même capital social que les enfants de notaires ou de cadres vraiment supérieurs. Sans doute aussi les profs sont-ils victimes du biais qui consiste à vouloir se placer dans les catégories supérieures pour éviter de méditer sur sa propre situation. C'est par exemple pour cette raison que la classe moyenne reste subjectivement fédératrice alors qu'une certaine approche sociologique montre l'évidence de leur éclatement. Voilà pourquoi les CPIS où sont notamment classés les professeurs à côté des professions libérales et autres cadres d'entreprise soutiennent à 20% le mouvement des gilets jaunes contre 61% des ouvriers et 56% des employés selon un sondage effectué par l'IFOP les 20 et 21 novembre dernier.

Reste évidemment la question des dégradations. Elles ne sont vraisemblablement pas le fait des manifestants mais de casseurs professionnels. Un parisien interviewé par un journaliste de RT France a même prétendu voir des casseurs retourner dans le camp des forces de l’ordre pour remettre leur brassard de ... policier. Cela semble tellement gros mais depuis l’affaire Benalla chacun est bien obligé d'examiner sans a priori les faits les plus invraisemblables ! Fondamentalement il est toujours désespérant de voir des mondialistes s'offusquer de la dégration de monuments nationaux scandant le passé glorieux de la France. Que l'Arc de triomphe soit tagé est une véritable abomination. Mais quiconque prendra la peine de se rendre à Chambord constera avec effroi que des hordes de décérébrés n'ont pas hésité à taillader dans l'indifférence générale, semble t-il, l'une des merveilles de notre Histoire. Que l'on commence donc par sélectionner les visiteurs de nos châteaux avant de venir pleurer sur des dégâts que l'on espère réversibles. On peut s'offusquer de tout, mais pas avec n'importe qui !

Chroniques macroniennes (VIII)

Par Le 01/04/2022

Les lendemains de réveillon sont généralement consacrés à une convalescence  peu propice à la réflexion. Heureusement nous avons un président qui nous oblige à sortir de nos gonds, ce n'est peut-être pas le moindre de ses mérites. Et les voeux prononcés à l'occasion de la nouvelle année ont constitué une occasion supplémentaire d'exprimer sa rage. En fait c'est peut-être la première fois que j'ai halluciné à ce point concernant le locataire de l'Elysée. Les voeux 2019 ! Franchement au début j'ai cru à un gag. Non ce n'est pas possible ... C'est un présentateur de télévision qui anime une émission, un show, ce n'est pas le président de la République française ! Même Raymond Barre s'adressant debout à l'ensemble des Français, pointant des courbes de croissance donnait une impression moins comique. C'est pour dire ...

Au bout de quelques secondes on s'attend à ce que le présidateur (porte-manteau un peu nul mais trouvé sur l'instant pour président présentateur) enchaîne sur les invités, fasse une pause de publicité,  commente la décoration du plateau, mais non. Il parle de politique. On est pesque déçu. Eh puis le mot Fraternité apparaissant en bas à gauche solidement dessiné sur le drapeau français est d'un effet totalement grotesque. De la com' grossière, sans recul, jeté en pâture pour ces gueux de Français ...  

Cela ne donne même pas envie de parler du contenu. Mais quelle importance ?

Vers un retournement ?

Par Le 01/04/2022

Il semblerait que l'on assiste à un tournant dans le mouvement des gilets jaunes. Déjà je n'aime pas l'utilisation de ce terme qui laisse à penser que ceux qui portent cette veste constituent un groupe à part, incarnants implicitement le peuple. J'ai envie de dire en fait que nous sommes tous des gilets jaunes, le confort douillet de nos foyers loin des rond-points en plus. Dans les médias en tout cas, on peut observer une inflexion, au minimum chez P. Praud, présentateur-journaliste de CNews. Il s'agit désormais systématiquement de condamner le mouvement populaire qui tient tout le monde en haleine depuis plus d'un mois maintenant. Le rappel à l'ordre du président semble avoir joué. Et pourtant à tout ceux qui critiquent les propos qualifiés de pernicieux voire de haineux de certains gilets jaunes, il convient d'opposer les propos suivants de K. Marx issus du Manifeste du parti communiste : "La bourgeoisie ... a noyé les frissons sacrés de l'extase religieuse, de l'enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité à quatre sous dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d'échange et, à la place des nombreuses libertés si chèrement acquises, elle a substitué l'unique et impitoyable liberté du commerce". Qu'attendre d'individus qui ont perdu leur dignité, qui sont pour une part illettrés, qui ne sont rien, qui n'ont pas de Rolex passé 50 ans ? Des propos doux et polis ? Il est vrai aussi qu'une part d'entre eux ne cherchent au fond qu'à intégrer cette société de consommation qui est au fondement de la misère universelle de la frustration. On a pu entendre un Jean-Luis Burgat s'offusquer du fait que les gilets jaunes permettent finalement à des partis (sous-entendu la France insoumise et le Rassemblement national) de revenir sur le devant de la scène alors que leurs propositions n'ont jamais abouti à rien. Aurait-il oublié, mais le sait-il, que Jean-Luc Melenchon avait organisé au moins une conférence-débat sur le web au moment de la campagne présidentielle avec les économistes ayant conçu sont projet comme Liem Hoang-Ngoc ou Jacques Généreux ! Même un économiste libéral aurait pu reconnaître la sincérité budgétaire du projet : hausse des dépenses, certes, mais augmentations des impôts aussi.

N'oublions pas non plus que si révolution il y avait dû avoir, c'eût été dans le cadre de la gestion de la crise des subprimes. Plutôt qu'une guillotine symbolique ce sont de vraies peines de prison qui auraient du tomber et balayer Wall Street. Il n'est même plus possible de prendre d'assaut le palais Brongniart en France, puisqu'il y a bien longtemps que les actions n'y sont plus côtées. Rappelons-nous aussi ces propos du président Obama s'adressant aux financiers : "il n'y a plus que mon administration entre vous et les fourches du peuple !" Quelqu'un a t-il eu l'idée alors de s'inquiéter de tels propos, incitant pratiquement à la révolte populaire ou bien de revendiquer le droit à ne plus jamais socialiser les pertes pour permettre au grands gagnants de cette mondiale partie de poker, la privatisation des profits ? Qui aurait pensé que cette infâme revendication (répétons : socialisation des pertes et privatisation des profits !) puisse s'étaler au grand jour sans susciter de mouvement social de grande envergure ? Oh certes il y eu Occupy Wall Street. Mais pour quels résultats ? Le seul candidat à la présidentielle américaine se revendiquant de ce mouvement, à savoir Bernie Sanders, a été gentiment évincé par les pleurnichards post-trumpiens de démocrates clintoniens ... Ce qui inquiète fondamentalement les élites médiatiques en France, c'est la possible alliance entre les deux spectres politiques, à l'italienne en quelque sorte. Il n'est pas anodin que Mathieu Slama dans le Figaro du 24 avril 2017 : « Macron-Le Pen ou le retour fracassant de la lutte des classes » ?, s'en fasse l'écho dans l'entre-deux tours. Cela avait déjà de quoi titiller (voir dans ce blog : "L'Union des droits ou l'union des deux rives ?"). Eh il semblerait bien qu'elle soit là, la lutte des classes ... 

Après il faut organiser la vie économique, qui reste malgré tout le nerf de la guerre. En ce sens l'imagerie populaire associée à la révolution de 1789 ne doit pas faire l'impasse sur les conditions de possiblité techniques de la victoire. La bourgeoisie a pris le pouvoir car elle maîtrisait les artifices techniques de la vie sociale. Que les grands révolutionnaires fussent des avocats, rompus à la technicité juridique, l'illustre aisément. Or notre monde est devenu technocratique et l'expert, on le sait depuis longtemps, en est devenu la figure emblématique. Voudra t-on alors en finir avec le Droit, la Finance et l'Informatique ? N'est-ce pas celà la vraie utopie ou révolution démocratique ?      

Christine Lagarde, les femmes et l'exercice du pouvoir

Par Le 01/04/2022

Il est toujours instructif d'entendre une femme dite de pouvoir. Surtout une Christine Largarde au salaire annuel de plus de 500 000 $ en tant que directrice du FMI. Elle vaut à elle seule plus de 30 smicards hommes. Heureusement elle retrouvera une rémunération à peu près comparable à la tête de la BCE. Tant mieux pour elle, les compétences sont tellement rares, on ne cesse de nous le rabâcher pour encore mieux nous signifier notre médiocrité. D'ailleurs Alba Ventura ne s'y est pas trompée, sur un ton volontairement ironique, qui l'a interviewée ce mercredi 30 octobre, en lui lançant des :"vous, la super économiste mondiale, la meilleure experte de la conjoncture mondiale" ... A tel point que la pauvre Lagarde donna un sentiment indistinct de gêne, de honte, d'amusement et de non duperie, ses mimiques à ce moment étant révélatrices. D'ailleurs elle sera sincère, mais pouvait-elle faire autrement, et s'abritera constamment, durant toute la durée de l'interview derrière ses anciennes équipes d'economistes, des vrais experts eux, de ceux qui avaient tout prévus de la crise de 2007, qui comme notre Touati national recommandaient un repositionnement sur le marché des actions fin 2007, quelle clairvoyance ! Keynes avait bien raison, à long terme nous sommes tous morts, alors pourquoi se priver de balancer tant de conneries ? Enfin tout le monde s'était trompé à l'époque, alors ... Heureusement qu'ils sont là les experts, qui, Christine Largarde nous l'assure, ne prévoient pas de recession pour 2020, à l'ajustement microéconomique près, et donc, pas de krach sur les marchés financiers, faut-il penser. Ah que c'est beau d'être économiste ! Et notre future présidente de la BCE d'évoquer, quand même, "la hausse des tarifs douaniers sur les produits qui sont importés des Etats-Unis vers la Chine". Non, qui sont importés "de" Chine ou alors exportés "vers" la Chine. A 500 000 euros annuel on attend quand même une certaine rigueur ... Bon, d'accord, ne jouons pas aux gagne-petits, ne soyons de ces misérables parasites envieux, mesquins emplis de ressentiment. L'élite, c'est elle, pas nous, il faut l'accepter. En fait le plus amusant viendra ensuite. Non pas sur des questions économiques, où, de toute façon, ce sont les experts qui servent les plats, mais sur des questions de ... genre. Ah le genre, c'est la loi et les prophètes ! Or que prétendent les gender studies ? Eh bien que les femmes ont une façon bien à elles de manager les équipes, d'arbitrer les portefeuilles entre risque et rendement, qu'elles sont plus sensibles au rendement, à la sécurité, qu'elles sont plus méfiantes vis-à-vis du risque, et bla-bla-bla ... Heureusement que l'émission Arrêt sur images a eu la bonne idée de faire le point sur les révolutions citoyennes. Car que peut-on y voir à la 35ème minute ? Tout simplement une intervention très féminine de la très charmante Gita Gopinath, chef économiste du FMI, cheffe si vous préférez, au sujet des honteuses manifestations populaires au Chili et où elle réaffirme le soutien du fraternel FMI au gouvernement chilien engagé dans des réformes nécessaires, commanditées par ce même FMI ... On vous prête du fric mais vous préssurez vos peuples. Ça vaut vraiment le coup de nous bassiner avec le genre ! Soyons un peu marxistes, et reconnaissons qu'un représentant du système, qu'il soit homme ou femme, noir ou blanc, parlera toujours au nom du comité qui lui a permis d'être élu et qu'il "administrera les affaires communes de toute la classe bourgeoise".

De l'uchronie aux sciences sociales

Par Le 20/05/2012

Quiconque s'est passionné pour l'histoire militaire en s'essayant notamment au wargame, ne pourra qu'être attiré par l'uchronie. Qui n'a voulu jouer à Waterloo pour venger la défaite de l'empereur et prouver qu'une victoire n'était pas impossible? Or c'est précisément à ce stade que commence l'uchronie en se demandant : "que serait advenu le monde si les événements avaient suivi un autre cours?", ce qui suppose un certain degré de plausibilité pour cet autre chemin, sans quoi l'uchronie devient de la science-fiction. Comme l'écrivait R. Aron, "tout historien pour expliquer ce qui a été, se demande ce qui aurait pu être".

La nature universelle de l'uchronie provient très certainement de son inscription fréquente, si ce n'est implicitement récurrente, dans le débat individu/structure. L'un des enjeux consiste à savoir dans quelle mesure les individus sont libres d'agir comme ils le font, et s'il ne sont pas, in fine, conditionnés, si ce n'est prisonniers, des conditions de toutes natures : historiques, sociales, économiques, juridiques, etc. D'un point de vue purement historique il s'agit de se demander dans quelle mesure les événements dépendent-ils du génie, du caractère propre de certains individus—sous-entendu des conditions historiques données auraient-elles abouties au même résultats sans un Alexandre, un Napoléon ou un Hitler? Mais même un Napoléon, aussi virtuose fut-il, aurait-il pu réussir sans la démographie et l'armée françaises, comme le souligne au détour d'un paragraphe L. Boia dans son Hégémonie ou déclin de la France? Les exemples évidemment abondent. Le dernier numéro spécial du magazine l'Histoire consacré au fisco de 1812 se fait fort d'évoquer les raisons de la victoire russe et donc les erreurs commises par Napoléon. Le "général hiver" notamment souvent présenté comme la cause majeure de la défaite, n'a fait que parachever une campagne fort mal engagée. Cependant étant donnée l'immensité du territoire russe, on se demande si la défaite n'était pas consubstancielle de l'invasion elle-même de la Russie, comme en fera l'expérience l'armée allemande un siècle plus tard. Il y eu dans les deux cas au moins la même illusion que l'occupation de la capitale suffirait à faire plier le régime en place. La géographie n'est-elle pas l'arme décisive dans ce cas, ce qui laisse peu de chances aux Hommes en face des structures constituées. Encore faut-il, et cela va tout particulièrement pour la campagne de 1812 que les dirigeants relaient la force du climat. Comme le notait Montesquieu en mettant en exergue l’importance du climat et de la géographie dans De l’esprit des lois, un climat défavorable doit (et donc peut) être compensé par des moeurs appropriées. Si le climat incite à la paresse alors il faut des individus courageux et des lois favorisant l’effort et l’initiative. Or en 1812, le tsar lui-même a encouragé la politique de fuite vers l'est et de destruction des entrepôts de vivre et de munitions pour que la géographie propre du territoire puisse exercer son action. Dans la mesure où l'état-major était partagé entre l'impétueux Bagration et le stratège du repli, Barclay de Tolly, Alexandre II avait le choix et a permis, par son action, l'actualisation de l'effet de structure. Mais en remontant aux causes dernières, on se prend à croire que ce sont les victoires précédentes de Napoléon, à Austerlitz et à Friedland, qui ont décidé de la stratégie russe de 1812. Comme l'indique Marie-Pierre Rey dans son articule "Pourquoi les Russes ont gagné", le tsar a effectivement pris les leçons des campagnes et défaites précédentes, n'hésitant pas à qualifier Napoléon de génie militaire et lui-même d'homme ordinaire. Que dire alors? Perdre à Austerlitz ou à Friedland pour espérer pouvoir gagner à Moscou ou vraisemblablement avant? On ne s'éloigne pas de la célèbre réponse de Malaparte à qui on demandait ce qu'il aurait fait à la place de Napoléon. Voilà de l'uchronie, mais on en conviendra, déplacée. Pas de Waterloo sans Austerlitz, pas plus que de Moskowa. De toute façon, rechercher la cause dernière de la curée impériale nous ramènerait sans doute à Trafalgar! Mais que de cheminements hypothétiques encore à partir de là. La Manche libérée des escadres ennemies auraient-elles permis un débarquement sans encombre? Napoléon aurait-il pu marcher sur les traces de Guillaume le conquérant ou même sur celles du général Jean Humbert envoyé par la toute jeune République mais ayant échoué faute de renforts? Et quand bien même l’Angleterre eut-elle été occupée, les armées françaises n’auraient-elles pas connues le même destin qu’en Espagne en devant combattre une guerilla et une population soudées contre son envahisseur? Il paraît difficile, on le voit, d’éviter un ensemble vaste de questionnements, dès que l’on s’amuse à “refaire et défaire” l’histoire. En la matière, la Seconde guerre mondiale offre toujours des perspectives intéressantes, étant donnée les enjeux qu’elle a et qu’elle continue de soulever. On peut au besoin nommer le site internet “1940 La France continue la guerre” ainsi que l’ouvrage collectif Et si la France avait continué la guerre ...

Le fait que l'uchronie soit liée à l'analyse historique est très bien mis en avant par le sociologue allemand Max Weber. « Il importe, dit Weber, de s'élever contre cette position qui affirme que des questions auxquelles on ne saurait donner une réponse, du moins une réponse incontestable, seraient, pour cette simple raison, oiseuses. Il n'y a absolument rien de oiseux à poser la question : qu'aurait-il pu arriver si Bismarck n'avait pas pris la décision de faire la guerre, en 1866, contre l'Autriche ? Elle concerne en effet le point décisif pour la structuration historique de la réalité, à savoir quelle signification causale faut-il au fond attribuer à cette décision individuelle, au sein de la totalité des éléments infiniment nombreux qui devraient précisément être agencés de cette manière-là, et non d'une autre, pour amener ce résultat-là ? Et quelle est la place de cette décision dans l'exposé historique ? Si l'histoire prétend s'élever au-dessus d'une simple chronique des événements et des personnalités, il ne lui reste d'autre voie que celle de poser des questions de ce genre. Et pour autant qu'elle est une science, elle a toujours procédé de cette manière. ». Ainsi l'Histoire, en tant que science, ne peut fonctionner autrement que de manière uchronique. Le fait que ce soit un sociologue qui le révèle nous conduit à souligner le lien entre l'uchronie et l'analyse sociologique. Ainsi l’idée des causes dernières précédemment évoquées et la relation individu/structure interpellent immanquablement le discours sociologique. Qu'on veuille bien se rappeler le célèbre "en dernière instance" de Engels, fidèle serviteur de Marx. "D'après la conception matérialiste de l'histoire, nous dit Engels dans une lettre à Joseph Bloch, le facteur déterminant dans l'histoire est, en dernière instance, la production et la reproduction de la vie réelle". Les forces économiques sont, de loin, les plus importantes. Mais suffit-il de regarder de combien le porte-monnaie des individus risque de varier lorsqu'ils ont pris une décision en toute connaissance de cause? Les structures économiques surdéterminent-elles en toutes circonstances les choix individuels? Marx va aussi parfois dans ce sens : Le moulin à bras vous donnera la société avec le suzerain; le moulin à vapeur, la société avec le capitaliste industriel" (Misère de la philosophie). Il s'agit ici d'un véritable déterminisme technologique puisque c'est cette dernière qui définit le régime économique et politique. Sans doute faudra-t-il opter pour une citation plus douce du type : Les hommes font leur histoire , mais ils la font dans des conditions qu'ils n'ont pas choisis". Personne ne peut évidemment être contre une telle assertion de bon sens mais qui, au fond, n'affirme pas grand chose.

En tout cas la question du déterminisme historique ne peut qu'interroger le domaine de l'uchronie. Ce n’est pas un hasard si Eric B. Henriet dans son ouvrage simplement intitulé L'Uchronie (paru en 2009 aux editions Klincksieck) y revient. Il cite notamment Vial (p. 65) pour lequel il y aurait des "lois globales" qui commandent, en matière de la révolution industrielle, au "rythme des découvertes des gisements miniers", en ne changeant rien à l'économie mondiale mais qui sont capitales pour les pays selon la chronologie et la géographie des-dites découvertes. Qu'E. Henriet cite de la même façon des auteurs de la Nouvelle histoire économique n'a encore là rien d'étonnant dans la mesure où les méthodes contrefactuelles qu’elle utilise sont par définition uchroniques. Fondamentalement l'analyse contrefactuelle est presqu'une nécessité en sciences sociales où le chercheur ne peut disposer d'éprouvettes pour "jouer" avec la nature. Et l’économiste est de toute façon habitué aux raisonnements hypothétiques et au principe de plausibilité différentielle des hypothèses. Avec M. Friedman, on sera même moins intéressé par le réalisme que par la valeur prédictive des hypothèses!

Où va la France?

Par Le 19/11/2011

 

Il est des périodes de misère sociale et intellectuelle. Et il semble bien que nous soyons en zone de turbulences. On entend régulièrement des hommes politiques et autres commentateurs qui, après s'être lamentés sur la situation de la France, s'empressent d'ajouter : "Mais la France reste un grand (et beau) pays", "La France est encore la cinquième ou sixième puissance mondiale", "la France ceci, la France cela". Qu'on leur rende grâce de leurs simagrés obligés. Il semble que les Français, eux, aient bien compris. 53% d'entre eux se disent révoltés par la crise actuelle et 29% se disent résignés, selon un sondage IFOP-JDD publié dimanche dernier. Même si les sondages n'engagent que ceux qui veulent bien les croire, même si l'"opinion publique n'existe pas", nul ne peut manquer de constater le malaise, au moins intellectuel, qui règne dans ce pays. Et même physiologique. Il y a quelques temps l'association Médecins du Monde s'alarmait d'un imminent krach sanitaire. En cause le démentèlement des droits sociaux. Si effectivement la France est fille ainée de l'Eglise, alors la charité et l'hospitalité doivent en demeurer des valeurs fondamentales. Le problème évidemment c'est lorsqu'une partie croissante de la population ne joue plus le jeu et se destine à l'assistanat. Alors les questions financières peuvent hélas revenir sur le devant de la scène.

Les Français s'attendent en tout cas à de lourds sacrifices et il est vrai que le bourrage de crâne médiatique fait bien son oeuvre. Nul ne peut concevoir les choses autrement que dans la souffrance, à moins de passer pour fou ou extrêmiste, que les fous ou les extrêmistes aient ou non raison, ce n'est même plus le problème. D'ailleurs les fous qui appelaient il n'y a pas encore si longtemps à l'éclatement de la zone euro, ne commencent-ils pas aujourd'hui à trouver un sérieux écho ?

Le "monde financier" aura au moins réussi le tour de force de faire croire que le marché financier existait réellement et qu'il pouvait faire et défaire les gouvernements. Or, si les gouvernements peuvent être défaits, ce n'est surement pas sous l'action d'un quelconque marché, personnalisé et déifié pour l'occasion. Derrière le marché il y a des hommes, des financiers, des institutions. Qu'une agence de notation annonce la possible dégradation de la note française, et c'est le premier ministre lui-même qui sur-enchérit en annonçant un durcissement de la rigueur. La souveraineté populaire ne peut pas être plus offensée. Bien sûr les statistiques sont alarmantes qui nous montrent que l'écart du taux de l'emprunt à 10 ans avec l'Allemagne atteint des records. Mais pourquoi devrions-nous nous plier aux diktats des prêteurs internationaux? Que penser d’une nation qui demande à être secourue par des pays (notamment la Chine) que l’on qualifiait de sous-développés il y a encore quelques temps ? N'est-ce pas le signe que la politique de la France se fait désormais "à la corbeille", c'est-à-dire sous l'emprise des décideurs de la finance, comme aurait dit le général De Gaulle ? Celui-ci ne craignait-il pas d'ailleurs que la France ne se "portugalise", c'est-à-dire qu'elle perde son statut de grande puissance pour celui de puissance mineure et insignifiante ? Il est vrai que le déclin relatif de la France à l'époque de la présidence gaulienne pouvait encore se noyer dans l'épopée économique des Trente Glorieuses. Qui saît, la France qui profite déjà largement de son patrimoine historique pour attirer les touristes se réduira peut-être un jour à une colonie de vacances. Voilà aussi ce qu'est en passe de devenir ce pays, un pays vivant sur le sang des générations passés et sur les larmes des générations futures en lui laissant la facture des impayés. Mais peut-être est-ce là aussi ce que le pouvoir veut bien nous laisser croire.

Que l'on songe un instant, orgueilleux que nous sommes, à notre histoire et irrémédiablement on se dit effectivement que la France ne peut être la France sans la grandeur. Réflexe patriotique, nationaliste diront certains. En tout cas nous ne savons plus vraiment au nom de qui parlent nos dirigeants aujourd'hui. Adopter des plans de rigueurs, justifiés ou non, c'est ramener la France au rang d'un pays en développement, tout juste bon à se soumettre à des politiques d'ajustements structurels. Cette seule idée devrait nous convaincre qu'il faut passer outre. Il est vrai aussi qu'une France en banqueroute a su accoucher en son temps d'une révolution créatrice, symbole des valeurs de la modernité. On ne voit cependant actuellement aucune sortie de régime.

Mais que signifie ici "passer outre"? Déclarer la France "en faillite", comme on se plaît à le dire dans la sphère médiatique où le terme de "cessation de paiement" serait plus opportun ? Ce serait là encore ramener la France en deçà de son histoire. La sortir de la construction européenne est une tentation qui ne manquerait sans doute pas d'aboutir au même résultat. L'idée de re-nationalisation de la dette semble bien plus pertinente. Le taux d'épargne en France étant l'un des plus élevé au Monde, signe révélateur de la peur de l'avenir, il n'est pas interdit de convertir cette épargne en obligations d'Etat. Alors la France retrouverait son indépendance financière et les Français seraient vraiment dépositaires de l'avenir financier de leur pays. Une autre solution consisterait à monétiser la dette en la faisant racheter par la banque centrale européenne qui ensuite l'effacerait purement et simplement. Et il n'est même pas certain qu'une telle initiative conduise à une montée irrésistible de l'inflation.

Si la fatalité n'est pas inscrite dans notre histoire, reste quand même une interrogation de fond : Les Français méritent-ils que l'on se batte pour une certaine idée de la France ? Et plus gravement encore : Ont-ils le désir de se battre pour une telle idée? Rien n'est moins sur. 

Hégémonie ou déclin de la France?

Par Le 20/05/2010

Si nous voulons bien nous demander ce qu'est "la" France et ce que signifie être "Français" au moins deux slogans peuvent servir de repoussoir. Le premier date des années 80 et de la gauche bien-pensante : "Touche pas à mon pote". Le second vient de la droite extrême populacière : "La France aux Français". Désormais plus personne n'oserait toucher à un des "potes" en question. Il faudrait plutôt leur dire, à eux, "Touche pas à ma copine, à ma mère, à ma soeur, à ma femme, à mes enfants...". Quant à rendre la France aux Français, c'est supposer qu'il n'y a pas de question à se poser, que les choses sont évidentes, ce qu'elles ne sont pas, du moins semble-t-il. De même que penser d'un slogan du type : "La France, aime-la ou quitte-la"? Pourquoi ne pas le dire pour n'importe quel habitant de France? La citoyenneté s'hérite-t-elle, se mérite -t-elle, se désire-t-elle ou mieux se sublime-t-elle comme aurait pu le dire un E. Renan ("Une Nation est une âme, un principe spirituel") ? Quelques points forts viennent cependant à l'esprit : l'émotion que suscite chaque audition de la Marseillaise et cette Histoire qui nous traverse à travers elle, le sentiment de profond écoeurement, au bas mot, lorsque cet hymne est sifflé, le respect sans doute du drapeau tricolore pour peu que des abeilles en ornent ses coins, le sentiment que l'épopée impériale aurait pu nous mener à une sorte de fin de l'Histoire, soulignant au final le sentiment angoissant que le meilleur est désormais derrière nous, que la France n'a pas su ou voulu, aux moments opportuns, choisir la bonne trajectoire. Tout cela, diront certains, ce ne sont que symbole, sublimation comme sus-indiqué, ou encore nostalgie d'un passé peut-être glorieux mais définitivement consigné dans les manuels d'Histoire. Mais justement une nation n'est-elle pas avant tout une somme de symboles unificateurs? Nous voilà alors retournant aux vieilles ritournelles sur la France "éternelle", celle qui traverse les époques sans perdre de sa grandeur, celle dont pouvait parler le général de Gaulle. Aussi en face de tels questionnement, le récent ouvrage de Lucian Boia, Hégémonie ou déclin de la France, la fabrication d'un mythe national, offre-t-il une perspective intéressante. C'est une question majeure en effet que de savoir si la France est effectivement en déclin, si les choses sont "rattrapables", si la France a vraiment connu son heure de gloire. La France a-t-elle irrémédiablement perdu le jour où elle a signé le Traité de Paris en 1763 où elle abandonne le Canada et la Louisiane ? N'aurait-il pas fallu, à l'inverse de ce que pensait le symbole de l'esprit français, Voltaire, se battre jusqu'au bout pour " quelques arpents de neige"? Parler de "mythe national" déjà, c'est bien montrer que la réalité est fuyante. Et si elle l'est pour le rang de la France dans le monde, elle risque de l'être pour la conception de la France elle-même. Il n'y a de France que de représentations, plus ou moins sincères, plus ou moins électoraliste. Ce n'est pas un hasard si Boia mobilise des oppositions du type "France éternelle" versus "France amoindrie" ou "France réelle". Mais le terrain reste difficile à baliser car comment les définir objectivement? Quelqu'un sait-il, et par exemple De Gaulle le savait-il, ce qu'est la "France éternelle"? La France qui lutte contre un envahisseur ou un occupant? Bon d'accord. Mais cela reste très limité comme principe organisateur. On peut toujours invoquer Jeanne d'Arc et la célébrer mais une fois que les drapeaux claquent au vent, il faut encore avancer! L. Boia suggère d'ailleurs, en prenant une citation forte du général, que ce dernier disposait d'une vraie définition (" ... à mon sens, la France ne peut être la France sans la grandeur..."). C'est discutable. Tout comme l'inscription par l'auteur de N. Sarkozy dans la lignée allant des empereurs, Napoléon I et III au général De Gaulle. Certes on comprend bien la logique. N. Sarkozy arrive pour redresser la France au moment où elle est au plus bas. D'ailleurs Boia ne se prive pas de citer le livre d'O. Duhamel, La marche consulaire, suggérant déjà la comparaison, largement abusive et sans utilité de surcroît. Nous pourrions comparer l'approche de Boia plutôt positive sur le "moment Sarkozy" avec la présentation qu'en fait E. Todd dans Après la démocratie (2008). Mais c'est une autre histoire. Evoquer en tout cas l'aura de N. Sarkozy, c'est oublier un peu vite aussi que les Français ont réagi à l'offre du moment quand bien même le discours du candidat à la présidentielle pouvait effectivement séduire, en particulier sur le fait qu'il fallait désormais retrousser ses manches et que plus rien ne serait donné gratuitement. Le problème c'est que la possibilité de fournir des efforts n'a pas été donné à l'ensemble des Français. Paradoxalement il n'y a plus que les fonctionnaires de l'éducation nationale qui peuvent encore espérer gagner plus en travaillant plus grâce au volant d'heures supplémentaires libérés par la politique restrictive de postes. Mettre en avant l'élection providentielle de N. Sarkozy c'est oublier un peu vite aussi que l'image donnée de la France, une France en crise qui attend son sauveur, est aussi une représentation. Or L. Boia n'a de cesse de répéter que l'idée d'une France déchue, en perte de vitesse absolue est largement exégérée. L'auteur tente, au contraire, et avec la justesse de la neutralité, de pointer les points forts de l'hexagone. Certes nous sentons bien que la France ne pourra plus jamais être ce qu'elle a été. Déjà avec les Trente Glorieuses du général De Gaulle, elle était depuis longtemps embarquée dans une pente descendante. Et Boia de citer la fameuse formule du général : "J'ai fait une politique sans moyens". En ce sens d'ailleurs il y a bien une filiation historique remontant au Second Empire puisque ce dernier "offre la leçon d'une non-concordance entre l'ampleur des ambitions et l'insuffisance des moyens", (p. 72). Boia aurait pu citer aussi la non moins célèbre formule sur la "portugalisation" de la France. La France ne peut plus avoir le rôle qu'elle a eu par la passé c'est-à-dire quand l'Europe dominait le monde et que la France dominait l'Europe.
A quels niveaux la France a-t-elle donc perdu l'initiative ?
Déjà au niveau culturel et linguistique, les deux pouvant être associés. La langue aussi symbolise le retrait culturel de la France. "La diffusion de l'anglais survalorise la culture anglo-saxonne"... On se fait mieux entendre en français plutôt qu'en tamil et en anglais plutôt qu'en français", p. 202. L'image de la France s'efface. Nous ne sommes plus au temps de l'existentialisme, du structuralisme de la "french theory" nourissant les "cultural studies" américaines. Le succès français d'Après-guerre fut en fait lié à un climat idéologique propice, plutôt ancré à gauche dans la critique du capitalisme, du pouvoir, etc. Avec le retournement libéral des années 80, la France ne pouvait que perdre du terrain. Toutefois, le libéralisme peut bien constituer une "désintoxication" après une "surdose idéologique" comme l'affirme l'auteur (p. 206), celui-ci, qu'il prenne l'aspect du reaganisme ou de tatchérisme est aussi une idéologie. Il serait plus judicieux de dire qu'une idéologie en a remplacé une autre et de s'interroger sur les raisons de ce basculement. Remarquons de toute façon que les solutions idéologiques de gauche n'étaient plus en phase avec le monde et l'expérience socialiste de 81-82 en constitue un cruel rappel et peut-être plus encore les restructurations industrielles qui viendront ensuite. Mais la logique est effectviement indéniable. "... l'histoire est passée du modèle français au modèle anglo-saxon. Rien à faire", p. 207. Est-ce à dire qu'avoir un président proaméricain est une chance plus qu'une menace pour la France? Pour répondre à cette question il nous faudrait mettre en jeu une théorie de l'Etat soulignant l'intérêt de l'implication des hommes politiques pour la chose publique. Ne sont-ils pas après tout des maximisateurs d'utilité? Des mercenaires préoccupés qu'en facade aux intérêts de leur pays? Ont-ils vraiment une idée du pays qu'il gouverne, au sens où De Gaulle prétendait avoir une certaine idée de la France?
Second domaine où la France a été dominante ("Le plus grand pays de l'Occident") : la démographie. Certes Boia constate comme tous les démographes les bons résultats récents de la France, comparés à ceux de l'Allemagne notamment. Mais il remarque aussi, sans aucune pointe de mauvais esprit, que cettr augmentation est bien particulière et risuqe de remettre en cause le modèle français d'intégration. "La France est redevenue multiculturelle, encore plus multiculturelle que du temps des anciennes cultures régionales effacées par le rouleau compresseur de la culture française dominante. Si l'on regarde uniquement la composante islamique, celle-ci concerne déjà presque 10% de la population du pays, et se signale surtout par une spécificité religieuse et culturelle incomparablement plus accentuée que celle qui distinguait jadis les Bretons, les Provençaux ou les Alsaciens. De plus vu la natalité plus élevé de ce groupe, son importance ne cesse d'augmenter. Des projections font même apparaître une France majoritairement islamique vers 2060", p. 191. Aussi, comme le suggère l'auteur, comment, en face d'une tendance de fond-le multicuturalisme propre à l'ensemble du monde occidental-trouver une voie originale non dénaturante entre unité et diversité?
Par contre l'auteur se montre beaucoup plus positif en ce qui concerne les résultats économiques de la France. Elle est devenue une puissance exportatrice, s'affirme davantage en matière de recherche scientifique et technologique, dispose d'une productivé horaire élevé et la qualité de vie est loin d'y être détestable. Certes il faudrait nuancer sur ce dernier point avec la question du mal-être spécifiquement français au travail.
Même en ce qui concerne l'Etat et le rôle des pouvoirs publics, tout n'est pas noir. Loin de barrer la route de la prospérité, Boia montre que l'Etat ouvre au contraire des perspectives dans un pays où l'initiative privée est défaillante (Second Empire, Gaullisme). Mais tout se paye et l'Etat finit aussi par "peser" sur la dynamique économique. On retrouve ici le genre d'arguments usité par la Nouvelle économie institutionnelle. L'Etat est nécessaire mais potentiellement dangereux.
La France est donc condamnée à se chercher, à s'appuyer sur ses illustres modèles mais pas trop, à se redéfinir peut-être jusqu'au jour où nous irons cultiver notre jardin...